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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 76

Le mardi 1er novembre 2022
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le mardi 1er novembre 2022

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard, O.C., O.N.S.

Félicitations pour l’obtention du prix d’excellence de la chaîne de télévision Afroglobal

L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je suis ravie d’intervenir aujourd’hui pour saluer la réussite d’une de nos collègues du Sénat. Samedi soir, la chaîne de télévision Afroglobal tenait l’édition 2022 de son gala annuel de remise des prix d’excellence. À cette occasion, notre collègue la sénatrice Wanda Thomas Bernard s’est vu décerner un prix pour l’ensemble de son œuvre.

Le gala de cette année, qui était animé par le député et secrétaire parlementaire Greg Fergus, avait pour mission de :

[...] présenter les réalisations de particuliers, d’organisations, d’entreprises et d’agences qui contribuent de façon notable à améliorer la vie de personnes d’ascendance africaine, et à transformer leurs collectivités.

Le gala de remise des prix d’excellence de la chaîne de télévision Afroglobal offre l’occasion de rendre hommage aux lauréats canadiens et étrangers et de faire connaître « les meilleurs éléments de l’Afrique et de la diaspora africaine mondiale. »

Le nom de la sénatrice Bernard s’ajoute ainsi à une liste impressionnante de lauréats antérieurs du prix couronnant l’œuvre de toute une vie, notamment l’honorable Zanana Akande, première Noire élue députée et nommée ministre à l’échelon provincial, et la très honorable Portia Simpson-Miller, la toute première première ministre de la Jamaïque.

Comme nous le savons tous, la sénatrice Bernard a été la première Néo-Écossaise d’ascendance africaine nommée au Sénat du Canada. Le prix d’excellence qui lui a été décerné souligne cet honneur, qui figure parmi les nombreuses réalisations qui lui ont valu d’être saluée lors de cette cérémonie, à l’occasion de laquelle on a également souligné d’autres honneurs qui lui ont été décernés, notamment l’Ordre de la Nouvelle-Écosse, l’Ordre du Canada, le prix Frank McKenna pour le leadership en politiques publiques, et sa nomination parmi les 100 personnalités canadiennes d’ascendance africaine les plus influentes.

Le travail en matière de droits de la personne que la sénatrice Bernard a accompli au service des Afro-Canadiens, surtout ceux de la Nouvelle-Écosse, est louable. Je suis heureuse de voir les résultats que son travail au Sénat a eus dans notre province, la Nouvelle-Écosse, voire dans tout le pays, et je sais qu’elle n’a pas encore terminé.

J’invite tous les honorables sénateurs à se joindre à moi pour féliciter la sénatrice Wanda Thomas Bernard, lauréate du prix d’excellence de 2022 pour l’ensemble de ses réalisations, décerné dans le cadre du programme des prix d’excellence de la chaîne de télévision Afroglobal. Merci.

Des voix : Bravo!

La pérennité des infrastructures spatiales

L’honorable Rosa Galvez : Honorables sénateurs, je prends la parole pour attirer votre attention sur des faits nouveaux concernant les systèmes de sécurité nationale et d’alerte de danger.

Alors que je me prépare à me rendre en Égypte pour la COP27, j’ai pris conscience de deux récents rapports : un rapport de l’OECD sur les orbites en péril de la Terre et un rapport de l’ONU sur le statut mondial des systèmes d’alerte rapide concernant de multiples dangers.

Avant d’expliquer les liens entre ces deux sujets, je tiens à remercier le Groupe des sénateurs canadiens de la générosité dont il fait preuve en me permettant de faire partie de la délégation canadienne à la COP27.

Bien que nous surveillons la préservation de la nature et de l’humanité sur la Terre en adoptant des méthodes de développement plus durables pour nous et les générations futures, nous devons également garder un œil sur l’espace et en prendre soin.

Sur les plus de 50 variables climatiques essentielles reconnues par l’Organisation météorologique mondiale pour surveiller les changements climatiques, 26 ne peuvent être observées efficacement que depuis l’espace. Tous les efforts déployés pour gérer les risques climatiques et tous les systèmes d’alerte rapide visant à protéger les vies, les biens et les moyens de subsistance sont possibles grâce aux infrastructures spatiales et aux données qu’elles recueillent. Ces systèmes permettent aux collectivités de recevoir des alertes rapides en cas de catastrophe, ce qui réduit les impacts et facilite la coordination à l’échelle internationale, nationale et régionale.

L’économie de la planète dépend des infrastructures spatiales, car les transactions financières et les systèmes de télécommunication et de navigation dépendent tous d’instruments qui gravitent dans l’espace proche. Les satellites surveillent également l’activité et les changements dans l’Arctique pour des questions de défense. Ainsi, la collecte de données sur la valeur de l’infrastructure spatiale et les coûts de son éventuelle perturbation doit être une priorité pour le Canada. En 2020, près de 5 000 satellites étaient en service, représentant des revenus commerciaux mondiaux de 270 milliards de dollars américains.

Malheureusement, les experts nous avertissent que la durabilité de notre espace est maintenant en danger.

[...] Les orbites de la Terre sont de plus en plus encombrées. En 2021, plus de satellites ont été lancés dans l’espace que durant toute la décennie précédente, et des dizaines de milliers de satellites devraient être lancés dans les cinq prochaines années.

Les débris orbitaux ont augmenté de façon significative au cours des 15 dernières années, et les répercussions socioéconomiques d’un accident majeur [ou d’une collision] causé par des débris spatiaux pourraient être dramatiques [...]

L’année dernière, un débris spatial a heurté le Canadarm, le bras robotique de la Station spatiale internationale.

Le développement économique de l’espace orbital terrestre nécessite l’attention de tous les pays pour que l’espace soit durable. Nous pouvons jouer un rôle important dans l’orientation de l’économie spatiale en intensifiant la recherche, le développement et l’innovation dans les domaines de la surveillance des satellites, de la gestion du trafic spatial et des systèmes de prévention des collisions.

Chers collègues, j’ai l’intention de continuer à faire de la sensibilisation à l’égard de la durabilité spatiale et d’explorer avec vous le rôle que le Canada peut jouer afin de soutenir l’exploitation efficace et sûre des infrastructures spatiales. Je compte sur votre soutien concernant cette question cruciale pour tous les Canadiens.

Merci, megweetch.

La communauté artistique de Winnipeg

L’honorable Patricia Bovey : Honorables sénateurs, toutes les régions au Canada jouissent d’une grande richesse artistique. Aujourd’hui, je célèbre la ville de Winnipeg, un centre artistique unique et dynamique depuis les années 1820, et un endroit où se sont déroulées bon nombre des premières artistiques de l’histoire canadienne. La créativité audacieuse et novatrice de ses artistes contribue grandement à l’expression créatrice nationale.

Il est important de souligner les anniversaires. Fondé en 1912, le Musée des beaux-arts de Winnipeg, le premier musée d’art civique du Canada, a 110 ans.

À 98 ans, le Théâtre Cercle Molière, plus ancienne compagnie de théâtre au Canada — francophone ou anglophone —, fondée en 1925, a toujours été et demeure un moteur de la vie culturelle de la communauté franco-manitobaine.

À 84 ans, le Ballet royal de Winnipeg se classe au deuxième rang des plus anciennes compagnies de ballet en Amérique du Nord, en plus d’être la plus ancienne compagnie de danse au Canada. Fondé en 1938, il a été mis sur pied initialement comme un club de ballet par deux professeures de danse anglaises, Gweneth Lloyd et Betty Farrally.

Enfin, il y a le Centre du théâtre royal du Manitoba, qui a été fondé par John Hirsch et Tom Hendry en 1958. À 75 ans, c’est le plus ancien théâtre régional du Canada.

Winnipeg est le port d’attache d’auteurs, de compositeurs, de musiciens, de danseurs, de chorégraphes, d’artistes visuels, de cinéastes et d’architectes de renommée internationale.

(1410)

Aujourd’hui, je souligne le 50e anniversaire de divers organismes de Winnipeg. L’année 1972 a été riche, enivrante et inspirante sur le plan artistique dans notre capitale provinciale, et cette énergie est toujours présente. Le Prairie Theatre Exchange, qui présente surtout du théâtre expérimental, rend hommage au talent local en présentant des pièces et des lectures d’auteurs locaux et en mettant en vedette des talents locaux et nationaux. L’Opéra du Manitoba présente des œuvres classiques, commande de nouveaux opéras et travaille en collaboration avec de nombreuses compagnies d’opéra.

L’Orchestre de chambre du Manitoba présente le meilleur de la musique de chambre classique et contemporaine en mettant en vedette autant des jeunes talents que des artistes renommés. L’Association des musées du Manitoba a rehaussé le professionnalisme et la notoriété des petits et grands musées de la province. Ces organismes ont survécu à des inondations, à des blizzards, à la COVID et à des récessions. Ils ont rejoint des auditoires de façon novatrice, encadré de jeunes créateurs et transformé l’engagement culturel. Chacun de ces organismes est une étoile dans la constellation culturelle du Canada.

C’est aussi en 1972 qu’a été formée la version autochtone du Groupe des sept, qui comprenait Jackson Beardy, Daphne Odjig, Norval Morrisseau et Alex Janvier. Leur première exposition publique a eu lieu cette année-là au Musée des beaux-arts de Winnipeg. Chers collègues, j’étais là. À Winnipeg, l’excitation était contagieuse. En tant que Manitobaine, je suis vraiment fière de leur travail de pionniers, de leurs contributions à la constellation artistique du Canada et du soutien qu’ils apportent à notre ville et notre province.

Je félicite toutes les personnes concernées, depuis cette époque jusqu’à aujourd’hui : les dirigeants, le personnel, les bénévoles et les donateurs pour leur ténacité, leur vision, leur détermination, leur dynamisme, leur professionnalisme et leur engagement. Le Canada et le Manitoba se sont enrichis de multiples façons. Les innovations artistiques se poursuivent à Winnipeg, définissant notre esprit et nos idées, et ce peu importe la météo et les moustiques!

Le Mois de la littératie financière

L’honorable Tony Loffreda : Honorables sénateurs, novembre est le Mois de la littératie financière. Le thème de cette année, Faisons des changements qui comptent : gérer son argent dans un monde en évolution, vise à rendre les Canadiens plus résilients financièrement et à leur offrir les outils nécessaires pour s’adapter et persévérer pour traverser les difficultés financières prévisibles et imprévisibles.

[Français]

Les difficultés financières ont été amplifiées par la pandémie, et les Canadiens sont soumis à un stress considérable en raison des changements économiques rapides et de l’augmentation du coût de la vie.

[Traduction]

Environ 15 % des adultes canadiens croient posséder de solides compétences en littératie financière, alors que 39 % qualifient leurs connaissances de faibles. Cela implique que deux Canadiens sur cinq estiment qu’ils n’ont pas les connaissances et les compétences nécessaires pour prendre des décisions bien informées et responsables à l’égard de leurs finances.

Acquérir plus de connaissances en finances et réussir à se doter d’une résilience financière sont des étapes importantes qui peuvent aider à réduire l’anxiété de beaucoup de Canadiens à l’égard de la gestion de l’argent. Le gouvernement du Canada a lancé de nombreuses initiatives pour soutenir les Canadiens à faible revenu. L’un de ces projets est la Canadian Refugee Initiative, à Montréal, qui propose d’outiller sur le plan financier les immigrants et les réfugiés racisés en leur offrant une série d’ateliers, des cliniques annuelles d’impôts et de l’encadrement, le tout adapté à leurs besoins, pour garantir leur bien-être financier. Il s’agit d’une initiative notable, surtout si l’on considère que les nouveaux immigrants ont un taux de littératie financière inférieur à celui des Canadiens nés au Canada.

[Français]

L’Union des consommateurs a aussi reçu des fonds publics fédéraux pour offrir des activités et des services d’autonomisation financière à plus de 25 000 Québécois à faible revenu afin d’améliorer divers aspects de leur bien-être financier.

[Traduction]

Au cours des dernières semaines, on a abondamment parlé de la difficulté à rejoindre certaines populations. C’est pourquoi il est de plus en plus important d’utiliser divers moyens pour solliciter la participation des Canadiens, y compris des ressources numériques faciles à lire, crédibles, simplifiées et offertes dans plusieurs langues. En effet, les statistiques indiquent que les jeunes adultes sont plus enclins à rechercher des conseils financiers sur Internet que dans tout autre médium.

Bien que la littératie financière soit une compétence essentielle pour tous les Canadiens, j’aimerais souligner l’importance d’éduquer le plus tôt possible les jeunes sur la saine gestion financière. Ils sont l’avenir de notre pays. Nous devons leur offrir les bons outils pour développer de saines habitudes à l’égard des services bancaires et bâtir leur confiance envers leur capacité à gérer leur argent de façon à ce qu’ils deviennent des adultes responsables et résilients sur le plan des finances.

Honorables sénateurs, au cours du Mois de la littératie financière, il est important d’encourager les conversations sur l’argent et de démystifier tout ce qui entoure les questions financières. Cela délivrera de nombreux Canadiens d’un gros fardeau et leur permettra peut-être de commencer à développer leur résilience financière. Merci, meegwetch.

[Français]

La boucle de l’Atlantique

L’honorable Percy Mockler : Honorables sénateurs, je suis honoré de faire une déclaration en cette auguste Chambre sur un sujet qui interpelle toute la région du Canada atlantique.

Nous sommes inquiets, alarmés, anxieux — oui —, en raison d’un projet qui nous tient à cœur.

[Traduction]

Il s’agit du projet de la boucle de l’Atlantique. Honorables sénateurs, nous avons entendu maintes et maintes fois que la boucle de l’Atlantique pourrait être un projet d’édification nationale dans le Canada atlantique. Signalons, à titre de renseignement, que parmi les projets d’édification nationale menés par le Canada figurent le chemin de fer national, la route transcanadienne et le transport aérien d’un océan à l’autre.

C’est grâce à la participation du gouvernement fédéral que ces projets ont pu être menés à bien et profiter à l’ensemble du pays. Ajoutons qu’Ottawa joue aussi un rôle de premier plan pour que d’autres projets qui ont une importance stratégique mais qui connaissent des difficultés financières puissent continuer d’avancer; c’est le cas, par exemple, de l’oléoduc Trans Mountain.

Nous avons besoin du même leadership, donc d’un leadership du gouvernement fédéral, pour soutenir la boucle de l’Atlantique, un projet d’édification nationale.

Je tiens à souligner qu’au Canada atlantique, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick produisent actuellement la plus grande partie de leur électricité, ce qui crée, du même coup, de bons emplois locaux, spécialisés et bien rémunérés. La boucle de l’Atlantique pourrait vraiment changer la donne pour nous. Il est crucial, honorables sénateurs, que le gouvernement fédéral veille à ce qu’aucune province ne soit laissée de côté pendant la transition vers un avenir carboneutre.

Honorables sénateurs, dans le Canada atlantique, et au Nouveau-Brunswick en particulier, l’économie est très électrique, intensive et exposée au commerce, ce qui signifie que les industries utilisent beaucoup d’électricité et exportent leurs produits vers des marchés mondiaux compétitifs. Votre Honneur, comme l’industrie ne peut pas transférer au consommateur le coût croissant des intrants, le gouvernement fédéral doit intervenir. Honorables sénateurs, en matière de réduction des émissions de carbone, NB Power est un chef de file parmi les compagnies d’électricité provinciales. Il convient de souligner que NB Power a réussi à réduire ses émissions de 80 % par rapport au sommet enregistré en 2011, et de 77 % par rapport aux émissions de 2005.

Honorables sénateurs, en conclusion, la boucle de l’Atlantique est en péril, et il ne fait aucun doute qu’il faudra trouver des réponses à de nombreuses questions si nous voulons participer à un projet d’édification nationale dans le Canada atlantique. Merci.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

La vérificatrice générale

Dépôt du rapport spécial

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport spécial de la vérificatrice générale du Canada, conformément à la Loi sur le vérificateur général, L.R.C. 1985, ch. A-17, par. 8(2).

Le Code criminel
La Loi réglementant certaines drogues et autres substances

Projet de loi modificatif—Présentation du septième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles

L’honorable Mobina S. B. Jaffer, présidente du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, présente le rapport suivant :

Le mardi 1er novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l’honneur de présenter son

SEPTIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, a, conformément à l’ordre de renvoi du mercredi 22 juin 2022, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement, mais avec des observations qui sont annexées au présent rapport.

Respectueusement soumis,

La présidente,

MOBINA S. B. JAFFER

(Le texte des observations figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 989.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Gold, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

(1420)

[Traduction]

Affaires sociales, sciences et technologie

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à reporter la date du rapport final sur l’étude du Cadre fédéral de prévention du suicide

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l’ordre du Sénat adopté le jeudi 28 avril 2022, la date du rapport final du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie concernant son étude du Cadre fédéral de prévention du suicide soit reportée du 16 décembre 2022 au 28 février 2023.


PÉRIODE DES QUESTIONS

Les affaires étrangères

Le coût de la délégation aux funérailles de Sa Majesté la reine Elizabeth II

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader du gouvernement, il y a un peu plus d’une semaine, nous avons été informés des dépenses somptuaires que les Canadiens devront assumer pour l’hébergement de la délégation du Canada aux funérailles de la reine, ce qui comprend un hébergement de cinq nuits dans une chambre de l’hôtel Corinthia London à 6 000 $ la nuit.

Sénateur Gold, je vous rappelle que l’actuel premier ministre a promis aux Canadiens de faire preuve de transparence et de responsabilité. Pourtant, il n’a rien dit sur les dépenses engagées pour ce séjour dans une chambre de luxe. S’il n’a pas honte de dire qui a séjourné à cet endroit, pourquoi ne pas nous le dire? Nous avons maintenant la certitude que ce n’était pas la gouverneure générale, d’après la déclaration que son bureau a publiée la semaine dernière.

Sénateur Gold, il est déjà assez déplorable qu’on fasse payer cette facture par les Canadiens, mais en plus, il semble que le seul moyen de faire la lumière sur ces dépenses serait d’engager un détective privé.

Monsieur le leader, allez-vous accorder aux Canadiens la transparence qui a été promise en disant au Sénat qui a séjourné dans cette chambre d’hôtel?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Comme je l’ai mentionné à d’autres occasions, et comme nous le savons d’après les rapports, la délégation canadienne officielle était nombreuse, comme on peut s’y attendre d’un important pays membre du Commonwealth. Tous les membres de la délégation, y compris deux premiers ministres conservateurs, ont séjourné dans le même hôtel, qui a été en mesure d’accueillir une si vaste délégation pendant une période de demande extrêmement élevée, comme les sénateurs peuvent le comprendre.

Comme toujours, le gouvernement a fait tout son possible pour que les dépenses liées aux voyages officiels soient responsables et transparentes.

Le sénateur Plett : Sénateur Gold, suggérez-vous qu’un de ces anciens premiers ministres conservateurs a séjourné dans cette chambre? C’est d’eux que vous parlez. Nous comprenons qu’il y avait une grande délégation. Ses membres n’ont pas tous séjourné dans cette chambre. Ce n’était pas une salle de réception. La délégation n’y a pas toute séjourné, même si elle aurait dû. À 6 000 $ la nuit, toute la délégation aurait dû y séjourner.

Monsieur le leader, je doute que ce soit ce que les Canadiens attendaient en matière de responsabilité et de transparence. La prétention du gouvernement voulant que cette dépense soit appropriée et transparente et votre propre prétention, d’ailleurs, sont à la fois consternantes et choquantes.

Sénateur Gold, puisque le gouvernement se sent à l’aise dans ses choix, et si vous n’avez pas honte de ce que le gouvernement a fait, vous ne devriez avoir aucun mal à faire preuve de transparence et à nous dire qui a séjourné dans cette chambre. Je serais très heureux de demander à l’ancien premier ministre conservateur Stephen Harper s’il a séjourné dans cette chambre. Je suis persuadé qu’il ne me dira pas quelle était la taille de la délégation, mais il me dira dans quelle chambre il a séjourné.

Dans quelle chambre le premier ministre a-t-il séjourné? Dans quelle chambre se trouvait le premier ministre dans cet hôtel?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question complémentaire et de la diligence dont vous faites preuve dans ce dossier. Je n’ai pas la réponse à votre question et je suis désolé de ne pas pouvoir répondre à vos attentes. Je suis désolé que vous soyez étonné, mais c’est la réponse que je peux vous donner.

Les finances

Les Comptes publics

L’honorable Elizabeth Marshall : Ma question s’adresse aussi au leader du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, nous avons maintenant les comptes publics pour l’exercice précédent. Je vous remercie de votre aide pour qu’ils soient publiés plus tôt par rapport à l’année passée.

Les Rapports sur les résultats ministériels, qui sont publiés annuellement, doivent servir à déterminer si l’argent dépensé par le gouvernement et déclaré dans les comptes publics a donné les résultats prévus. Le gouvernement a publié les Rapports sur les résultats ministériels de l’exercice précédent en mars de cette année, 11 mois après la fin de l’exercice. Ils ont été rendus publics beaucoup trop tard pour être utiles.

Ma question est la suivante : étant donné que vous êtes parvenu à devancer la publication des comptes publics pour l’exercice se terminant en mars 2022 par rapport à l’année dernière, quand le gouvernement publiera-t-il les Rapports sur les résultats ministériels pour le dernier exercice?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci, sénatrice Marshall, pour vos aimables paroles. Les comptes publics de 2020-2021 ont effectivement été déposés dans les délais prévus par la loi. Mais comme l’honorable sénatrice le sait — et nos collègues aussi, je l’espère — depuis plus de 10 ans, lorsqu’il y a des élections à l’automne, les comptes publics sont généralement déposés en décembre. Cette année, les comptes publics ont également été révisés en raison d’une décision judiciaire rendue le 29 septembre. On m’assure que la vérificatrice générale a examiné la révision et n’a pas modifié son opinion.

Je crois comprendre, sénatrice, que le gouvernement s’apprête à déposer les comptes publics cet automne.

La sénatrice Marshall : Oui. Ce qui m’intéresse, sénateur Gold, c’est de savoir quand je recevrai les Rapports sur les résultats ministériels. Lorsque j’examine les comptes publics, j’ai besoin des rapports sur les résultats pour tout vérifier. En effet, il faut pouvoir comparer les résultats avec l’argent qui a effectivement été dépensé. Alors, ce que je voudrais, c’est une date.

Le sénateur Gold : Je vous remercie de la précision, et je m’excuse d’avoir mal compris la question. Je vais devoir me renseigner sur les dates, sénatrice Marshall. J’essaierai d’obtenir une réponse aussi rapidement que possible.

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

Les services d’établissement des immigrants

L’honorable Ratna Omidvar : Ma question s’adresse au sénateur Gold, le représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, la semaine dernière, Statistique Canada a publié un rapport signalant que plus de 8,3 millions de personnes, soit environ 23 % de la population du Canada, sont aujourd’hui ou ont déjà été des immigrants reçus. Comme nous le savons, la plupart de ces immigrants finiront par devenir citoyens canadiens.

Aujourd’hui, nous avons appris que le gouvernement s’est fixé un nouvel objectif en matière d’immigration pour les trois prochaines années. D’ici 2025, nous accueillerons 500 000 immigrants par année. J’estime que c’est une bonne chose. L’immigration, lorsqu’elle est bien faite, est avantageuse pour tous.

Cela dit, ce qui est très encourageant dans tout cela, sénateur Gold, c’est que les immigrants ne choisissent plus uniquement de s’établir dans les grandes métropoles, c’est-à-dire à Montréal, à Toronto et à Vancouver; certains choisissent de s’établir ailleurs. Les Maritimes sont les grandes gagnantes. C’est merveilleux! Cependant, le gouvernement ne semble pas financer les services d’établissement à la hauteur de l’accroissement du volume d’immigrants.

Par exemple, en Nouvelle-Écosse, le nombre d’immigrants s’est accru de 51 % entre 2018 et 2021. C’est une hausse importante. Je félicite la Nouvelle-Écosse. Or, le financement du principal organisme de services d’établissement de la province, l’Immigrant Services Association of Nova Scotia n’a augmenté que de 7 %. L’organisme a déclaré au Globe and Mail qu’il avait beaucoup de mal à répondre à la demande.

Sénateur Gold, pourriez-vous nous dire si le gouvernement prévoit une augmentation du financement des services d’établissement de la Nouvelle-Écosse et de l’ensemble du Canada qui sera parallèle à la hausse du nombre d’immigrants accueillis de sorte que ces organismes puissent répondre à la demande accrue?

(1430)

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question. Le gouvernement sait que les nouveaux arrivants joueront un rôle essentiel dans l’avenir du pays, autant pour la société que pour l’économie, et qu’ils apportent de nombreuses contributions importantes.

Pour permettre aux nouveaux arrivants de s’établir ailleurs que dans les trois villes que vous avez mentionnées et s’assurer qu’ils aient accès aux services essentiels dans les petites localités et dans les localités rurales pendant leur première année passée au Canada, le gouvernement a annoncé un investissement de plus de 35 millions de dollars pour accroître la capacité de réinstallation et les services d’établissement partout au pays. Cet investissement comprend 21 millions de dollars pour l’ajout de neuf fournisseurs de services du Programme d’aide à la réinstallation en Colombie‑Britannique, en Alberta, au Manitoba et au Nouveau‑Brunswick. Ces organisations ont pour objectif d’atténuer la pression exercée sur les 32 fournisseurs de services du Programme d’aide à la réinstallation dans l’ensemble du Canada et de donner aux nouveaux arrivants la possibilité de s’établir dans les petites et les moyennes villes et dans les collectivités rurales où il y a plus de logements abordables disponibles.

Ces services aident tous les nouveaux arrivants, en particulier les réfugiés et d’autres nouveaux arrivants vulnérables, à apprendre la langue et à trouver du travail de façon à pouvoir contribuer à leur collectivité et atteindre leur potentiel maximal le plus tôt possible.

De plus, on m’a informé que 14 millions de dollars seront investis dans les services de gestion des cas de 14 fournisseurs de services existants afin qu’ils puissent aider plus de nouveaux arrivants vulnérables au moyen de soutien et de références permettant à ceux-ci de mieux s’établir dans leur nouvelle collectivité. Cela comprend un projet pilote dont l’objectif est d’accroître la capacité de gestion des cas francophones dans les Prairies.

La réussite du Canada en tant que leader mondial de la réinstallation et de l’intégration est attribuable aux efforts extraordinaires déployés par les fournisseurs de services partout au pays. Le gouvernement est heureux d’offrir un soutien continu aux nouveaux arrivants.

La sénatrice Omidvar : Merci, sénateur Gold, pour cette réponse détaillée. Je me réjouis de vous avoir informé à l’avance de ma question.

J’ai néanmoins une préoccupation. Au cours des trois prochaines années, le gouvernement envisage d’augmenter le seuil d’immigration dans presque toutes les catégories, mais en 2025, la cible d’accueil des réfugiés diminuera d’environ 2 600, voire davantage.

Sénateur Gold, compte tenu de tous les bouleversements sur la scène mondiale, notamment du fait que 100 millions de personnes sont déplacées, et de notre fierté d’être un pays d’asile, sommes‑nous en train de tourner le dos à nos semblables?

Le sénateur Gold : Non, je ne pense pas que le Canada tourne le dos à quiconque. La capacité d’accueil dépend toujours de l’analyse du nombre approprié de nouveaux arrivants en fonction de leur profil. Je crois que le Canada affiche un bilan exemplaire en matière d’accueil. Je répète — sans vouloir ennuyer les sénateurs en présentant davantage de faits et de chiffres — que le gouvernement continue à investir des sommes considérables pour s’assurer que les nouveaux arrivants s’intègrent aussi rapidement et aussi pleinement que possible dans la société canadienne, notamment au moyen de partenariats avec les provinces, les territoires, les municipalités et des organismes à but non lucratif.

Les finances

Programme d’obligations vertes

L’honorable Clément Gignac : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, la semaine dernière, on a appris qu’Ottawa prêtait, par l’intermédiaire de la Banque de l’infrastructure du Canada, une société d’État, près de 1 milliard de dollars à Ontario Power Generation pour ajouter un réacteur nucléaire modulaire à la centrale nucléaire de Darlington. À la suite de cette annonce, Ontario Power Generation a adopté un Cadre des obligations vertes de 300 millions de dollars qui comprend le financement de l’énergie nucléaire pour atteindre la carboneutralité d’ici 2040.

Il est intéressant, ou inquiétant, de constater que le gouvernement fédéral a expressément exclu les projets d’énergie nucléaire du Cadre des obligations vertes qu’il a publié au printemps dernier.

Ma question au sénateur Gold est la suivante : pourriez-vous m’expliquer comment le gouvernement fédéral peut, d’une part, soutenir le financement de la technologie nucléaire au Canada par l’intermédiaire de la Banque de l’infrastructure du Canada et, d’autre part, refuser d’inclure des solutions nucléaires dans ses obligations vertes pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, sénateur. Je crois comprendre que le Cadre des obligations vertes du Canada est pleinement aligné sur les normes internationales en matière d’obligations vertes et les attentes du marché, ce qui est très important à prendre en considération au moment de concevoir un tel cadre. Ce cadre, qui prévoit l’exclusion de l’énergie nucléaire, est cohérent avec les cadres d’autres pays souverains émetteurs d’obligations vertes, notamment la France, l’Allemagne, la Suède, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni.

On m’a informé que les investissements faits à partir des obligations vertes seront dirigés vers des projets qui répondent aux critères du cadre et que, parallèlement, le gouvernement continuera d’appuyer des projets axés sur l’innovation et l’amélioration de l’environnement dans tout le pays afin d’aider les Canadiens, les collectivités et les entreprises à s’adapter adéquatement et efficacement à une économie carboneutre. À cet égard, le Canada reconnaît et soutient le rôle essentiel que peut jouer l’ensemble du secteur de l’énergie pour concrétiser cette transition.

D’une part, il y a le cadre international qui régit les obligations vertes. D’autre part, il y a l’engagement du gouvernement, comme le démontre l’investissement en question, à encourager l’innovation et tous les moyens qui peuvent contribuer à faire la transition vers une économie carboneutre.

Le sénateur Gignac : Est-ce que le gouvernement serait disposé à revenir sur sa décision? Je crois que la réalité a changé depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la sécurité énergétique est primordiale. C’est une approche qui mériterait d’être réexaminée. J’ai appris que l’Union européenne procède actuellement à une révision de la question parce que l’émission d’obligations vertes est importante pour les marchés financiers.

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. C’est une question légitime. Je vais m’informer, mais, en attendant, permettez que je dise ceci : comme le savent les sénateurs, plus tôt cette année, le gouvernement du Canada a procédé à l’émission inaugurale des obligations vertes libellées en dollars canadiens, et ces obligations vertes inaugurales, les premières de nombreuses délivrances semblables, créeront de nouvelles occasions financières qui permettront d’accélérer divers projets, des infrastructures vertes à la conservation de la nature, tout en contribuant à faire croître l’économie et les emplois qui en découlent.

Comme c’est le cas avec tous les programmes du gouvernement, celui-ci s’est engagé à revoir et reconsidérer ce programme-ci. Je ferai certainement un suivi afin de vous revenir rapidement, je l’espère, avec une réponse à votre question.

L’emploi et le développement social

La politique nationale en matière d’alimentation dans les écoles

L’honorable Dennis Glen Patterson : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, Emploi et Développement social Canada a annoncé aujourd’hui le lancement de consultations visant le but suivant :

[...] élaborer une politique pancanadienne en matière d’alimentation dans les écoles qui répondra aux besoins changeants des enfants et des familles, tout en jetant les bases d’un avenir où un plus grand nombre d’enfants du Canada auront accès à des aliments nutritifs lorsqu’ils sont à l’école.

Le communiqué indique qu’au Canada, un enfant sur cinq souffre d’insécurité alimentaire. Au Nunavut, cette proportion avoisine malheureusement les trois enfants sur cinq.

De plus, les aliments coûtent deux fois et demie plus cher dans notre territoire que dans le Sud du pays. Comme vous le savez, acheminer des aliments nutritifs jusqu’à notre territoire pose certains défis logistiques, puisque les 25 collectivités ne sont accessibles que par avion. D’autres obstacles importants compliquent encore les choses, comme la température et le manque d’infrastructures, qui prend notamment la forme de pistes d’atterrissage courtes et non asphaltées.

Voici ma question, sénateur Gold : votre gouvernement s’engagera-t-il non seulement à consulter le gouvernement du Nunavut et les Inuits du Nunavut, mais à faire en sorte que tout programme d’alimentation dans les écoles ne repose pas, comme d’habitude, sur un modèle de financement par habitant, pour tenir compte du fait que les Nunavummiuts doivent composer avec des obstacles et des défis supplémentaires quand il s’agit d’obtenir des aliments frais et nutritifs?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Vous soulevez un point important. Ceux d’entre nous qui, comme moi, ont eu le privilège de se rendre dans le Nord, à Iqaluit et ailleurs, ont été témoins, bien qu’à distance, des défis à relever. Il suffit d’entrer dans une épicerie et de voir les prix affichés pour savoir à quel point il est difficile de se procurer des aliments nutritifs à prix abordable, et ce, dans une grande ville comparativement à d’autres régions plus éloignées.

(1440)

Le gouvernement s’engage à améliorer la sécurité alimentaire dans le Nord par une approche pangouvernementale, qui comprend la collaboration avec les provinces, les territoires et les dirigeants autochtones dans les communautés. À cet égard, le programme Nutrition Nord Canada constitue un élément clé de l’intervention du gouvernement dans le dossier de la sécurité alimentaire.

Le gouvernement s’est engagé à travailler, comme je l’ai mentionné, avec les provinces, les territoires, les municipalités, les partenaires autochtones et les intervenants afin d’élaborer une politique nationale en matière d’alimentation dans les écoles et mettre en place un programme national de repas nutritifs dans les écoles, et les travaux en ce sens ont commencé. Le gouvernement a entrepris des consultations informelles avec des intervenants et des spécialistes et compte nouer un dialogue avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, de même qu’avec des partenaires autochtones. Je suis convaincu que les questions que vous soulevez ont été posées au cours des consultations et continuent à l’être, et que le gouvernement écoutera sérieusement ces considérations et ces préoccupations.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie de votre réponse, sénateur Gold. Le Nunavut est la plus grande région du pays, plus grande que le Québec ou l’Ontario, mais elle est aussi la moins peuplée. La formule de financement par habitant nous inquiète toujours parce qu’elle peut être très préjudiciable et injuste pour notre région.

J’aimerais vous demander d’accorder une attention particulière aux dangers qu’une telle formule peut poser, en nuisant à notre capacité de réaliser les objectifs louables de ce nouveau programme.

Le sénateur Gold : Je ne manquerai certes pas de faire part au gouvernement de cette préoccupation.

[Français]

La justice

La prévention de la violence faite aux femmes

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

L’an dernier, le Québec a dénombré 26 féminicides, dont les deux tiers ont eu lieu dans un contexte de violence conjugale. Chaque année, les tribunaux du Québec traitent plus de 20 000 dossiers de violence conjugale et, dans 90 % des cas, ce sont des femmes qui sont les victimes. Également au Québec, chaque année, les policiers traitent plus de 60 000 signalements de violence conjugale. Au Canada, l’an dernier, 173 femmes ont été assassinées dans un contexte de violence conjugale, sans compter les enfants.

Depuis sept ans, pourquoi le gouvernement libéral de Justin Trudeau n’a-t-il pas adopté une loi pour mieux protéger les femmes au Canada?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénateur de sa question.

Le gouvernement a mis en œuvre des plans et des stratégies pour lutter contre la violence fondée sur le genre et à l’égard des femmes. Il travaille à l’élaboration d’un plan d’action national pour mettre fin — c’est ce que l’on souhaite — à la violence fondée sur le genre.

Le gouvernement a aussi investi de l’argent dans plus de 1 200 organisations de première ligne fournissant des services essentiels aux survivantes de la violence fondée sur le genre. Dans le budget de 2021, le gouvernement s’est appuyé sur ce travail en investissant plus de 3 milliards de dollars sur cinq ans pour faire progresser ces initiatives.

Il y a donc plusieurs façons de remédier à ce problème important, tragique et inacceptable. Le gouvernement continue à faire des efforts à cet égard.

Le sénateur Boisvenu : Sénateur Gold, je vous prie d’adresser le message suivant au premier ministre : s’il a adopté une stratégie pour réduire les agressions contre les femmes au Canada, elle a échoué.

En 2021, au Québec, dans un dossier de violence conjugale, un récidiviste en attente de procès ayant commis 51 actes criminels dans sa vie, dont 11 liés à la violence conjugale et 3 agressions sexuelles, a été remis en liberté après avoir été arrêté pour avoir brisé ses conditions trois fois. Quelques jours plus tard, il a assassiné sa femme.

Sénateur Gold, pourquoi, depuis sept ans, tous les projets de loi adoptés par le gouvernement libéral ont-ils contribué à réduire la sécurité des femmes, notamment le projet de loi C-5, qui sera adopté bientôt? Expliquez-moi pourquoi tous les projets de loi ont fait en sorte de miner la sécurité des femmes, qui est moins forte aujourd’hui qu’il y a sept ans.

Le sénateur Gold : Merci pour la question. J’aimerais faire une distinction, premièrement, et souligner les tragédies que vous avez mentionnées, qui sont complètement inacceptables.

En même temps, ce n’est pas nécessairement la réalité. Le gouvernement du Canada n’est pas d’avis que les mesures qui étaient en place et qui sont en train d’être débattues — nous entamerons la troisième lecture du projet de loi C-5 demain — et même les mesures qui étaient proposées et mises en place pour faire en sorte que les victimes — les femmes et les autres — soient plus en sécurité n’ont pas eu cet effet.

Au contraire, les recherches démontrent clairement que les initiatives liées aux peines minimales obligatoires et autres ont échoué à atteindre leur objectif. Le projet de loi C-5 et les autres initiatives du gouvernement du Canada en matière de justice criminelle servent à garantir la sécurité des Canadiens tout en respectant les droits et libertés de tous les citoyens et citoyennes, que ce soit en matière de libération conditionnelle ou d’ordres de sursis — conditional sentences, l’expression me manque en français — ou s’agissant d’autres mesures dans le projet de loi que vous avez mentionné.

[Traduction]

Les affaires étrangères

Les relations sino-canadiennes

L’honorable Leo Housakos : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat, le sénateur Gold. Au cours des dernières semaines, nous avons découvert que le régime communiste chinois administre des stations de police partout au Canada et qu’au moins trois des stations dont nous connaissons l’existence se trouvent à Toronto. Bien sûr, monsieur le leader du gouvernement, nous le savons parce que le régime communiste s’est vanté publiquement — imaginez, il l’a fait sur la place publique — d’avoir « convaincu » de nombreux Canadiens d’origine chinoise de retourner en Chine pour faire face à de fausses accusations.

Évidemment, je mets le mot « convaincu » entre guillemets parce que nous savons bien ce que cela signifie. Ces Canadiens retournent en Chine parce que la sécurité de leurs proches là-bas a été menacée. C’est particulièrement inquiétant étant donné que le Parti communiste chinois a recours de façon de plus en plus abusive à sa loi sur la sécurité nationale pour étendre sa portée au-delà des frontières chinoises lorsqu’il est question de ces centres.

Sénateur Gold, pourquoi le gouvernement permet-il de telles activités en sol canadien? Je sais que la GRC a lancé une enquête sur ces stations de police, mais pourquoi est-ce même nécessaire? Pourquoi le gouvernement ne les a-t-il pas déjà fermées et, plus important encore, n’a-t-il pas convoqué l’ambassadeur de Chine une fois pour toutes?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Le gouvernement a pour priorité de protéger la sécurité nationale des Canadiens. C’est un mandat dont le gouvernement s’acquitte avec sérieux.

Je suis heureux, sénateur Housakos, que vous ayez mentionné que la GRC enquête sur ces questions. La GRC prendra, le cas échéant, les mesures nécessaires et portera les accusations appropriées.

Les représentants d’Affaires mondiales Canada ont déclaré ce qui suit :

Les activités alléguées seraient complètement illégales et tout à fait inadmissibles, et je vous assure que nous les dénoncerions très fermement [...]

Il convient, dans ce genre d’affaires, de confier à la GRC le soin de mener une enquête appropriée. En ce qui concerne les autres mesures qui pourraient être prises sur le plan diplomatique, le gouvernement examine régulièrement les possibilités qui s’offrent à lui.

Le sénateur Housakos : Je reconnais que c’est illégal et inadmissible, et je suis heureux que la GRC fasse le nécessaire. Alors pourquoi votre gouvernement ne fait-il pas ce que font tous les autres pays du Groupe des cinq, c’est-à-dire lui donner plus d’outils législatifs et d’autorité de la part des Parlements et des congrès, pour s’assurer que ce problème est réglé?

Sénateur Gold, vous souvenez-vous de l’expression « un Canadien est un Canadien »? Cette expression n’a-t-elle plus d’importance aujourd’hui? De nombreux Canadiens d’origine chinoise vivent dans ce grand pays et méritent de vivre en paix, en liberté et en sécurité.

(1450)

Pourquoi le gouvernement ne se soucie-t-il pas suffisamment de ces personnes pour les protéger du régime communiste de la Chine? Pourquoi le gouvernement se rend-il complice de ces voyous? Pourquoi le gouvernement n’intervient-il pas?

Nous avons vu à maintes occasions au cours de la présente législature la façon dont le régime communiste tente d’intimider les parlementaires. Nous avons vu par le passé des tentatives d’intimidation de la part de l’ambassadeur de la Chine. Voilà que le régime communiste chinois intimide des Canadiens d’origine chinoise en sol canadien.

Je suis content que le gouvernement se dise préoccupé, et je suis content que vous soyez heureux que la GRC fasse enquête, mais que fait le gouvernement, quels outils met-il à la disposition de la GRC pour l’aider à faire toute la lumière sur cette affaire?

Le sénateur Gold : Sénateur Housakos, je suis content que vous soyez content.

Vos déclarations reposent sur bien des suppositions. Je le répète, il est très difficile de répondre à une question lorsque le préambule contient autant de flagrantes inexactitudes. Il est tout simplement faux de laisser entendre que le gouvernement ne se soucie pas des Canadiens de certaines origines. Oser dire que le gouvernement se rend complice frôle... Je fais de mon mieux pour respecter les traditions du Parlement et m’exprimer dans un langage parlementaire, mais je suis souvent désespéré. J’ai beau avoir un parent qui enseignait l’anglais, je n’arrive pas à trouver de vocabulaire acceptable dans un contexte parlementaire pour exprimer pleinement mes réactions à certaines de ces insinuations.

Le gouvernement du Canada prend au sérieux sa responsabilité de protéger les Canadiens, que ce soit par ces efforts diplomatiques, en coulisse ou en déployant nos ressources policières. Les Canadiens devraient être fiers que le gouvernement respecte les traditions démocratiques, la séparation des pouvoirs et la discrétion parfois nécessaire dans les affaires diplomatiques.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi no 2 sur l’allègement du coût de la vie (soutien ciblé aux ménages)

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Hassan Yussuff propose que le projet de loi C-31, Loi concernant des mesures d’allègement du coût de la vie relatives aux soins dentaires et au logement locatif, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole afin d’entamer le débat sur le projet de loi C-31, Loi concernant des mesures d’allègement du coût de la vie relatives aux soins dentaires et au logement locatif.

Partout au pays, les Canadiens ressentent les effets de la hausse du coût de la vie provoquée par l’inflation mondiale. Le gouvernement a réagi en présentant une mesure législative qui offrira rapidement de l’assistance à ceux qui ont le plus de difficultés. Le projet de loi a pour objectif d’aider les familles canadiennes à combler leurs besoins. S’il est adopté, il donnera un supplément ponctuel de 500 $ au programme de l’Allocation canadienne pour le logement à environ 1,8 million de Canadiens pour les aider à payer leur loyer. De plus, le projet de loi crée la prestation dentaire canadienne, qui donnera aux enfants de moins de 12 ans de familles à revenu faible ou moyen l’accès aux soins dentaires dont ils ont besoin, ce qui représente une aide pour environ 500 000 enfants.

Si le projet de loi est adopté, en plus de mettre un baume sur les effets immédiats de la hausse de l’inflation, il constituera un premier pas vers l’établissement d’un régime d’assurance dentaire durable au Canada.

Je vais commencer par parler de la prestation dentaire canadienne et je terminerai par le supplément ponctuel au programme de l’Allocation canadienne pour le logement.

Les soins dentaires sont essentiels au maintien d’une bonne santé buccodentaire, en particulier chez les plus jeunes enfants, dont les dents se développent encore. Pourtant, dans les faits, de nombreuses familles canadiennes ne peuvent pas se permettre de payer des soins dentaires professionnels. Consulter un dentiste peut coûter cher, et environ le tiers des Canadiens n’ont pas d’assurance pour couvrir les coûts. Cela signifie que de nombreux parents doivent reporter des soins dentaires importants ou y renoncer à un moment où la dentition de leurs enfants se développe.

Sans surprise, des recherches démontrent que les familles canadiennes à revenu faible ou moyen ont une moins bonne santé buccodentaire que les familles dont le revenu est plus élevé. Voilà le type d’inégalité sur le plan de la santé que le projet de loi présenté aujourd’hui cherche à atténuer.

En 2018, plus d’un Canadien sur cinq a indiqué qu’il s’était passé de soins dentaires en raison de leur coût. Cela représente environ 6,8 millions de personnes. Repousser des soins dentaires — ou pire, s’en passer complètement — peut avoir de graves conséquences. Si rien n’est fait, les problèmes dentaires peuvent entraîner de nombreux autres problèmes de santé, dont des maladies chroniques comme le diabète et les maladies cardiaques. À leur tour, ces maladies font augmenter les dépenses publiques liées à des soins de santé très coûteux comme des services cardiaques, d’oncologie et d’urgence.

Au Comité des finances nationales, nous avons entendu le témoignage du Dr Walter Siqueira, doyen et professeur à l’Université de la Saskatchewan, qui nous a mis en garde contre les effets dangereux sur la santé d’une mauvaise santé buccodentaire. Il est clair qu’une mauvaise santé buccodentaire impose un lourd fardeau à l’ensemble de la société. Ces coûts directs et indirects nous touchent tous, et nous profiterions tous de l’amélioration de l’accès aux professionnels des soins dentaires.

Lorsqu’il s’agit d’enfants, les enjeux sont encore plus élevés. Les conséquences d’une mauvaise santé buccodentaire pendant l’enfance peuvent durer toute la vie. De nombreuses maladies buccodentaires peuvent apparaître dès l’âge préscolaire. Vous serez peut-être surpris d’apprendre que la carie dentaire est en fait la maladie chronique infantile la plus courante au Canada et dans le monde. Au Canada, le traitement des problèmes dentaires est la principale cause de chirurgie de jour sous anesthésie générale pour les enfants de moins de cinq ans.

L’enfance est également une période critique pour l’acquisition de bonnes mesures d’hygiène dentaire. La consultation d’un professionnel des soins dentaires pendant ces années décisives peut être déterminante pour développer de saines habitudes qui dureront toute la vie.

Il ne fait aucun doute qu’un accès inadéquat à des soins dentaires pendant les années critiques a un effet important sur les enfants, un effet qui est plus prononcé chez certains groupes. Les données de recherche montrent que les maladies dentaires sont plus fréquentes chez les enfants issus de familles à faible revenu, les enfants autochtones et les enfants handicapés ou ayant des besoins particuliers en matière de soins de santé.

Il est évident que certains enfants canadiens sont laissés pour compte. Si nous n’agissons pas maintenant, ces enfants pourraient devoir vivre avec les conséquences d’une mauvaise santé buccodentaire pour le reste de leur vie.

On peut éviter cela. Avec les bons soins, nous pouvons empêcher des problèmes de santé buccodentaire mineurs de s’aggraver. Pour les enfants, qui ont toute la vie devant eux, les avantages d’un accès précoce à des soins dentaires sont incommensurables.

La prestation dentaire canadienne proposée est donc conçue pour aider avant tout les plus jeunes membres de la société canadienne, plus précisément les enfants de moins de 12 ans issus des familles à faible revenu n’ayant pas accès à une couverture d’assurance dentaire privée. Les familles admissibles recevraient des paiements pouvant aller jusqu’à 650 $ par année pour chaque enfant de moins de 12 ans. La prestation serait également non imposable.

Étant donné que plusieurs sénateurs se sont demandé si la prestation de 650 $ est suffisante, j’aimerais d’abord répondre à cette question en me concentrant sur deux aspects. Premièrement, ce programme ne vise pas à remplacer les régimes d’assurance publics ou privés déjà en place. Ce programme provisoire vise à offrir aux enfants des familles à faible ou à moyen revenu l’accès à des soins buccodentaires de base lorsqu’ils ne peuvent bénéficier d’un régime privé ou public.

Comment a-t-on fixé ce montant à 650 $? Les fonctionnaires de Santé Canada, en collaboration avec le dentiste en chef du Canada, ont examiné les coûts moyens des soins dentaires pour une gamme de soins de base offerts aux enfants, y compris des examens, des radiographies, des plombages, des soins préventifs tels que du fluor et des résines de scellement. En se basant sur le coût de ces mesures et de ces traitements de base, ils ont déterminé le montant de la prestation qui permettra de combler les besoins des enfants en matière de soins buccodentaires de base.

Deuxièmement, le programme de prestations pour soins dentaires est un programme provisoire, et non une solution à long terme aux besoins en matière de soins buccodentaires des enfants. Des discussions plus approfondies auront lieu au cours des deux prochaines années entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ainsi que les principaux intervenants, y compris les professionnels dentaires, pour élaborer une meilleure solution à long terme.

Si le projet de loi à l’étude est adopté, les familles admissibles pourraient déjà demander la prestation dentaire canadienne plus tard cette année.

(1500)

Santé Canada et l’Agence du revenu du Canada se sont engagés à collaborer pour que les Canadiens reçoivent leur prestation aussi rapidement que possible. Les parents et les tuteurs légaux des enfants admissibles pourront faire une demande de prestation en ligne sur le site Web de l’Agence du revenu du Canada en ouvrant une session dans « Mon dossier ». Autrement, ils peuvent s’adresser au centre local de service à la clientèle. Par la suite, les demandeurs recevront un paiement initial qui leur permettra d’amener les enfants admissibles chez le dentiste. Cet argent servira à payer les services de santé buccodentaire offerts par tout fournisseur de soins de santé buccodentaire indépendant et réglementé au Canada.

Pour être admissibles aux prestations, les demandeurs doivent répondre à certains critères. Ils doivent avoir à leur charge un enfant de moins de 12 ans non couvert par un régime privé d’assurance dentaire. Le gouvernement pourra leur demander de fournir des renseignements sur leur employeur pour vérifier s’ils bénéficient ou non d’un régime privé d’assurance dentaire pour les enfants. Leur revenu familial net ajusté doit être inférieur à 90 000 $ par année. Ils doivent avoir présenté une déclaration de revenus pour l’année d’imposition la plus récente. Ils doivent être les parents ou les tuteurs légaux qui touchent l’Allocation canadienne pour les enfants admissibles. Ils doivent avoir payé ou envisager de payer les soins dentaires de l’enfant qui ne seraient pas entièrement remboursés par un autre programme public. Ils doivent fournir des renseignements sur la visite chez le dentiste, et sur le fournisseur de soins dentaires que la prestation permettra de payer.

Les enfants qui reçoivent des services de soins buccodentaires dans le cadre d’autres programmes publics, notamment ceux fournis par les provinces et les territoires et le programme fédéral des Services de santé non assurés pour les Premières Nations et les Inuits, peuvent également être admissibles à la prestation dentaire canadienne. Toutefois, ils devront quand même répondre aux autres critères. Le plus important est qu’ils doivent avoir des dépenses qui ne sont pas entièrement remboursées par ces programmes.

Certaines questions et préoccupations ont été soulevées quant à savoir s’il faut payer d’avance et attendre ensuite le remboursement. Je tiens à préciser que l’argent versé dans le cadre de la prestation dentaire canadienne serait fourni aux demandeurs admissibles avant qu’ils n’aient accès à des soins dentaires. On offre un paiement anticipé de la prestation proposée, car on reconnaît que de nombreux prestataires admissibles n’ont pas la souplesse financière nécessaire pour attendre le remboursement.

Dans le cas d’une personne qui a payé des soins avant de faire une demande de prestation, elle peut toujours demander à recevoir la prestation après coup, pourvu que les soins aient été reçus pendant la période d’admissibilité, qu’ils n’aient pas été remboursés par un autre programme et qu’ils soient admissibles au moment où la demande est présentée.

Grâce à sa vaste infrastructure sécurisée et à sa longue expérience en matière de versement de prestations aux Canadiens, l’Agence du revenu du Canada est bien équipée pour exécuter ce programme. Elle est également bien équipée pour prévenir la fraude et veiller à ce que le programme soit utilisé comme prévu.

L’Agence du revenu du Canada agira afin de mettre en œuvre des mesures de vérification et de sécurité supplémentaires dès le départ de manière à s’assurer que les prestations sont versées uniquement aux personnes qui y sont admissibles. Dans certains cas, l’Agence du revenu du Canada pourrait demander des renseignements supplémentaires ou communiquer avec l’employeur ou le cabinet du dentiste d’un demandeur pour valider son admissibilité.

L’Agence du revenu du Canada continue d’améliorer la sécurité de ses services numériques afin de protéger les Canadiens contre les activités frauduleuses. Les dispositifs de sécurité comprennent l’authentification multifactorielle et l’obligation d’utiliser une adresse de courriel pour les personnes qui utilisent Mon dossier. L’Agence du revenu du Canada s’appuiera fortement sur une gamme d’outils existants afin d’administrer d’autres programmes gouvernementaux, comme le prévoit le projet de loi, dans le but de mener des activités d’observation, de vérification et de recouvrement.

Je tiens à souligner que la Prestation dentaire canadienne n’est qu’un début. Il s’agit d’une solution provisoire permettant d’offrir un soutien urgent à ceux qui en ont le plus besoin. La prestation fournirait un soutien financier immédiat aux familles et leur permettrait de commencer à répondre aux besoins en matière de soins dentaires de leurs enfants admissibles, et ce, le plus tôt possible.

Pendant la durée de la Prestation dentaire canadienne, le gouvernement du Canada prendra les mesures nécessaires pour élaborer un programme de soins dentaires complet et à plus long terme. Il y aura des discussions avec les principaux intervenants, comme le secteur et les experts de la prestation de soins de santé buccodentaire.

L’été dernier, par exemple, le ministre de la Santé et la ministre de Services publics et Approvisionnement Canada ont lancé une demande de renseignements destinée aux représentants de l’industrie. Comme vous le savez, le gouvernement du Canada et les provinces et territoires se partagent la responsabilité des soins de santé. Comme d’habitude, le gouvernement du Canada reconnaît et respecte les mandats et les compétences de nos partenaires provinciaux et territoriaux.

L’ensemble des provinces et des territoires offrent actuellement une forme d’assurance complémentaire pour les services dentaires. La portée de ces programmes varie et certains ne sont offerts qu’à des groupes précis, comme les aînés, les enfants ou les prestataires de l’aide sociale. Toutefois, les programmes provinciaux et territoriaux ne couvrent pas de façon uniforme les soins dentaires pour les enfants de moins de 12 ans et, dans certains cas, ils ne couvrent que les soins d’urgence.

Certains enfants de moins de 12 ans couverts par un programme provincial ou territorial peuvent quand même être admissibles à la Prestation dentaire canadienne si leur famille répond à tous les critères d’admissibilité. Si une famille a quand même des dépenses qui dépassent ce qui est couvert par le programme provincial ou territorial, elle peut demander la Prestation dentaire canadienne pour couvrir ces dépenses supplémentaires.

Par exemple, le programme du Québec ne couvre que les enfants de 9 ans — pas 10 ans ni 11 ans — et moins, sauf si les parents reçoivent des prestations d’aide sociale ou d’un autre programme. De plus, le programme du Québec ne couvre aucune mesure de prévention, comme le nettoyage, pour les enfants de 9 ans et moins.

Plus récemment, la pandémie de COVID-19 a clairement permis de découvrir que nous pouvons travailler ensemble pour atteindre rapidement des résultats en matière de soins de santé. Par conséquent, nous savons que nous avons l’élan nécessaire pour voir grand et relever des défis pour améliorer les systèmes. En prenant appui sur les investissements faits à ce jour ainsi que sur la collaboration de tous les ordres de gouvernement, j’ai espoir que les élus pourront trouver des solutions pour travailler avec leurs homologues provinciaux et territoriaux afin de définir une vision commune pour l’avenir, un avenir où l’accès aux soins dentaires est élargi.

Les Canadiens méritent un système de soins de santé qui donne des résultats concrets, et ils s’attendent à ce que les instances gouvernementales d’un bout à l’autre du pays unissent leurs efforts pour utiliser de façon optimale les deniers publics.

Honorables sénateurs, s’il était adopté, ce projet de loi contribuerait à combler les lacunes dans la prestation de soins dentaires pour que des milliers d’enfants canadiens vulnérables puissent y avoir accès. Ce projet de loi ferait en sorte que tous les enfants de moins de 12 ans, peu importe leur lieu de résidence, aient accès à des soins dentaires. La Loi sur la prestation dentaire propose aussi une prestation provisoire pour tenir compte du fait que les enfants dont les dents n’ont pas fini de se développer sont une priorité.

Cela dit, il faut parler des échéanciers. Dans le budget de 2022, le gouvernement du Canada s’est engagé à aider les plus jeunes Canadiens à avoir accès à des soins dentaires avant la fin de l’année. Afin de respecter cette échéance, les mesures législatives proposées doivent recevoir la sanction royale le plus tôt possible. C’est pourquoi j’exhorte les honorables sénateurs à appuyer le projet de loi C-31.

Comme je l’ai déjà dit, le projet de loi C-31 prévoit aussi un supplément ponctuel à l’Allocation canadienne pour le logement. Ce supplément procurera aux Canadiens 500 $ de plus pour payer leur loyer. L’Agence du revenu du Canada traitera les demandes et les paiements au nom de la Société canadienne d’hypothèques et de logement ainsi que du ministre du Logement et de la Diversité et de l’Inclusion. Autrement dit, ce supplément sera traité séparément de l’Allocation canadienne pour le logement, qui est versée par les provinces et les territoires partout au pays.

Honorables sénateurs, ce paiement unique aura des répercussions d’une portée considérable. Selon les estimations du gouvernement, environ 1,8 million de personnes le recevront, y compris environ 700 000 locataires à faible revenu vivant dans ma province, l’Ontario.

Ce supplément est-il conçu comme une solution durable aux problèmes concernant l’abordabilité des logements au Canada? Bien sûr que non. Il s’agit d’un supplément à court terme conçu pour atténuer le problème à court terme qu’est l’inflation croissante, laquelle a une incidence disproportionnée sur les locataires à faible revenu.

D’après le rapport publié en octobre par Rentals.ca, le coût moyen des loyers a grimpé de 100 $ comparativement au sommet qu’il avait atteint à l’automne 2019, avant la pandémie. La prestation pour logement locatif de 500 $ contribuera à couvrir une partie de cette augmentation à court terme, mais nous conviendrons tous, je crois, qu’il faudra en faire davantage, à long terme, pour aider les Canadiens à composer avec les enjeux liés à l’abordabilité du logement.

(1510)

Nous avons déjà entendu les grandes lignes sur le supplément ponctuel au programme d’Allocation canadienne pour le logement. Maintenant, j’aimerais prendre un instant pour répondre à certaines questions que mes collègues de toutes allégeances pourraient se poser.

Premièrement, j’aimerais expliquer qui est admissible à la prestation. Une personne est admissible si elle a produit une déclaration de revenus pour 2021 et si, selon cette déclaration, le revenu net rajusté s’élève à moins 20 000 $, ou à moins de 35 000 $ dans le cas des familles.

Pour être admissible, il faut, en 2022, être une personne résidant au Canada aux fins de l’impôt. La résidence principale doit être située au Canada à la date de référence, soit le 1er décembre 2022, ou à la date d’entrée en vigueur du projet de loi. La personne doit avoir payé un loyer au Canada en 2022 et doit y avoir consacré au moins 30 % de son revenu net rajusté.

Il faut présenter une demande par l’entremise de l’Agence du revenu du Canada, l’ARC, en utilisant le compte sécurisé Mon dossier ou en téléphonant au centre d’appel de l’ARC.

Le gouvernement s’attend à ce que les gens puissent demander le supplément ponctuel au programme d’Allocation canadienne pour le logement d’ici la fin de 2022, et ils auront 120 jours pour présenter une demande. Pour que les Canadiens puissent obtenir la prestation le plus tôt possible, le gouvernement encouragera les demandeurs à s’inscrire au dépôt direct, ce qu’ils peuvent faire en utilisant le compte sécurisé Mon dossier ou en s’adressant à bon nombre d’institutions financières du pays.

Les demandeurs qui sont admissibles et qui se sont inscrits au dépôt direct recevront leur paiement rapidement — en cinq jours ouvrables. Ceux qui ne se sont pas inscrits au dépôt direct peuvent s’attendre à recevoir leur paiement par chèque dans les 10 à 15 jours ouvrables.

Votre Honneur, certaines personnes pourraient craindre que cette allocation ait un impact sur d’autres avantages dont elles dépendent. Je peux leur assurer que la nature du paiement unique d’une valeur de 500 $ signifie qu’il ne doit pas être déclaré du point de vue de l’impôt sur le revenu. Il ne réduira pas leurs autres prestations fondées sur le revenu, comme l’Allocation canadienne pour les travailleurs, l’Allocation canadienne pour enfants, le crédit pour taxe sur les produits et services et le Supplément de revenu garanti. Le gouvernement travaillera avec les provinces et les territoires pour faire en sorte que les prestations qu’ils administrent ne seront pas affectées par cette allocation.

Votre Honneur, le gouvernement a conçu cette allocation de manière à ce qu’elle change les choses pour les familles qui en ont le plus besoin, sans exercer davantage de pressions inflationnistes sur les coûts du logement. Cela est dû au fait que ce paiement unique, relativement modeste, est versé directement aux locataires à faible revenu.

On sait que de nombreux propriétaires ont également du mal à joindre les deux bouts, mais dans le projet de loi à l’étude, je crois que le gouvernement adopte une approche ciblée en se concentrant en particulier sur les ménages de locataires où cet investissement peut avoir le plus d’impact. En effet, les recherches montrent que les locataires sont quatre fois plus susceptibles d’avoir des besoins essentiels en matière de logement que les propriétaires.

Votre Honneur, pour conclure, je veux avancer un argument important. Le supplément ponctuel au programme de l’Allocation canadienne pour le logement n’est que l’une des mesures de la trousse à outils visant à favoriser l’abordabilité du logement. Comme nous le savons, pour que le coût des logements devienne abordable, il faut investir beaucoup à long terme. Il faut un plan global qui profite à tous les Canadiens, peu importe où ils se situent dans le continuum du logement au pays. Ce plan existe et il comprend des mesures visant à permettre au Canada de doubler la construction de logements au cours de la prochaine décennie. Il aidera les Canadiens à épargner pour l’achat de leur première maison, en plus d’interdire la propriété étrangère et de freiner la spéculation, qui font augmenter le coût du logement au Canada.

La Stratégie nationale sur le logement du Canada se trouve au cœur de ce plan. Cette stratégie décennale, soutenue par des investissements de plus de 72 milliards de dollars, améliore vraiment les choses dans la vie des Canadiens, et elle ne cesse de s’étendre pour aborder la question de l’abordabilité du logement sous tous les angles.

Votre Honneur, j’espère avoir été en mesure de répondre à certaines des questions les plus pertinentes au sujet du supplément ponctuel au programme de l’Allocation canadienne pour le logement. En conclusion, je sais que les Canadiens comptent sur nous tous pour leur offrir ce qu’ils demandent et ce qu’ils méritent, y compris un logement sûr, adéquat et abordable où se sentir chez soi.

Aucun enfant ne devrait avoir à souffrir d’une mauvaise santé buccodentaire parce que sa famille n’a pas les moyens de payer des soins dentaires. Les enfants n’ont pas à endurer des problèmes dentaires douloureux quand des soins dentaires professionnels sont largement disponibles au Canada.

J’espère que nous pouvons tous convenir qu’au Canada toutes les personnes qui ont besoin de soins médicaux devraient en recevoir, peu importe leur capacité de payer. Il en va de même pour les Canadiens qui vont chez le dentiste. Les familles canadiennes dans le besoin ont attendu trop longtemps pour avoir accès à des soins essentiels pour leurs enfants. Ce projet de loi peut faire une énorme différence dans la vie des enfants, et des adultes qu’ils deviendront. En agissant maintenant pour garantir un meilleur accès aux soins dentaires pour les plus jeunes citoyens canadiens, nous investissons dans la santé de l’ensemble de cette cohorte de Canadiens. Il ne fait aucun doute qu’un tel investissement portera ses fruits pendant de nombreuses années.

J’espère que nous pourrons compter sur les sénateurs de tous les groupes du Sénat pour soutenir ce projet de loi afin d’offrir une aide financière indispensable à ceux qui en ont le plus besoin. Merci beaucoup.

[Français]

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Le sénateur Yussuff accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Yussuff : Oui.

La sénatrice Miville-Dechêne : Tout d’abord, sénateur Yussuff, merci d’avoir accepté d’être le parrain de ce projet de loi.

Ma question porte sur la partie qui concerne le logement. Dans son étude du projet de loi C-31, le directeur parlementaire du budget a constaté que 86 700 locataires québécois ne seront pas admissibles à l’allocation de 500 $, car ils consacrent moins de 30 % de leur revenu au loyer. Ce sont pourtant des citoyens qui, en général, sont défavorisés, car ils vivent dans des logements subventionnés, ce qu’on appelle chez nous des HLM ou habitations à loyer modique. Le Québec est la province la plus touchée, car on y trouve davantage de HLM qu’ailleurs au pays.

De plus, au Canada, 118 000 personnes seront exclues du programme pour la même raison.

Sénateur Yussuff, devrait-on supprimer ou modifier le critère des 30 % du revenu afin d’inclure davantage de locataires dans le besoin?

[Traduction]

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de votre question. Je crois comprendre que des amendements ont été apportés au projet de loi à la fin du processus à l’autre endroit. Cela dit, trois ministres témoigneront devant le comité demain. Pour dissiper toute incertitude, je vais leur poser la question en votre nom pour obtenir une réponse exacte et ainsi éviter de vous induire en erreur. Merci beaucoup.

L’honorable Denise Batters : Sénateur Yussuff, je vous remercie de votre discours. À ce que je comprends, dans ma province, la Saskatchewan, les familles à très faible revenu bénéficient d’une assurance dentaire pour leurs enfants. De plus, de nombreuses familles canadiennes ayant un régime de soins de santé par l’entremise de leur employeur bénéficient évidemment d’une assurance dentaire pour leurs enfants. Quel pourcentage de Canadiens, parmi ceux n’ayant aucune couverture, recevront cette prestation selon les estimations du gouvernement fédéral?

Le sénateur Yussuff : D’abord, je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. De toute évidence, comme vous le savez, différents programmes provinciaux et territoriaux à l’échelle du pays aident les familles à accéder à certains soins dentaires.

En Saskatchewan, on estime que quelque 49 500 familles seront admissibles au programme que le gouvernement met en place. Au pays, près de 700 000 familles pourraient utiliser le programme seul ou conjointement avec les prestations provinciales ou territoriales pour donner à leurs enfants les soins appropriés dont ils ont besoin et qu’ils méritent.

La sénatrice Batters : Sénateur Yussuf, il semble que, malheureusement, le leader du gouvernement ne prononcera pas de discours à l’étape de la deuxième lecture. Nous n’aurons donc pas la chance de lui poser des questions sur ce projet de loi. Par conséquent, je dois vous adresser ma question puisque vous êtes le parrain de cet important projet de loi d’initiative ministérielle. Il y a une crise de santé mentale qui sévit au Canada. Je n’ai pas entendu parler d’une pareille crise en matière de soins dentaires. Nul doute que ces soins sont importants, mais je ne crois pas que l’urgence soit la même.

Lors de la dernière campagne électorale, le gouvernement Trudeau a fait une promesse très importante en ce qui concerne les soins de santé mentale. Il a promis de verser 4,5 milliards de dollars dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé mentale. Sur cette somme, 875 millions de dollars auraient déjà dû être octroyés et transférés, mais pas un sou n’a été versé jusqu’à présent. Pourquoi le gouvernement a-t-il choisi de consacrer cet argent à ce domaine en particulier et non à la santé mentale?

(1520)

Le sénateur Yussuff : Encore une fois, sénatrice, merci beaucoup de cette question. Comme vous le savez, la santé mentale est une question dont nous devons tous nous préoccuper en tant que parlementaires. Le gouvernement a déjà pris des engagements importants envers les provinces pendant la pandémie de COVID-19. Il a transféré des fonds aux provinces pour les aider à faire face aux problèmes de santé mentale. Je suis sûr qu’au fur et à mesure que les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral poursuivront leurs discussions, les provinces recevront un soutien supplémentaire pour répondre aux besoins en matière de santé mentale des Canadiens de tout le pays.

Même si vous n’avez pas entendu parler de leurs besoins en matière de santé dentaire, de nombreuses familles de travailleurs ont aussi besoin d’aide à cet égard depuis un bon moment. D’après l’estimation fournie par le gouvernement, je peux avancer avec certitude que de nombreuses familles en bénéficieront au bout du compte. Je ne pense pas que nous devrions donner la priorité aux soins dentaires au détriment de la santé mentale. Ces deux besoins ont autant d’importance l’un que l’autre. Si vous posez la question à une famille qui est aux prises avec ces problèmes, elle vous parlera de celui qui la préoccupe le plus à ce moment-là.

Bien que je reconnaisse l’importance de la santé mentale, nous devons trouver des moyens de continuer de soutenir les provinces de sorte que les Canadiens puissent accéder aux services dont ils ont besoin. Nous ne devons pas établir une distinction en disant qu’un domaine de la santé est plus prioritaire qu’un autre. Lorsqu’une famille est aux prises avec un problème de santé, cela devient sa priorité. Je sais que pour bien des familles de travailleurs au pays, les soins dentaires représentent une grande priorité parce qu’elles n’ont pas les moyens d’y accéder.

L’honorable Clément Gignac : Sénateur Yussuff, je vous félicite de votre travail en tant que parrain de ce projet de loi. Je crois que beaucoup d’entre nous — pour ne pas dire la majorité — conviennent qu’il faut faire quelque chose. Dans les années 1960, la Commission royale d’enquête sur les services de santé, 1961 à 1964, a bel et bien mentionné que ces services doivent faire partie du régime national.

Cela dit, de nombreuses provinces offrent un programme différent. Fait intéressant, le directeur parlementaire du budget a mentionné que les résidants du Québec ne toucheront que 13 % des 700 millions de dollars que coûtera ce programme, étant donné que le Québec a un régime plutôt généreux déjà en place.

Plus précisément, au cours des cinq prochaines années, le Québec recevra 92 millions de dollars, soit le même montant que l’Alberta, mais pour une population beaucoup plus grande. Ma question est donc la suivante. Puisque vous êtes probablement en communication avec le ministre, croyez-vous qu’il serait judicieux d’offrir aux provinces l’option de ne pas participer à ce régime sous certaines conditions, c’est-à-dire de permettre aux provinces de recevoir l’argent pourvu qu’elles respectent certaines conditions? Selon moi, ce serait beaucoup plus efficace puisque les soins dentaires sont régis par les provinces et que les provinces sont en communication avec les dentistes.

Le sénateur Yussuff : Merci de votre question. Vous le savez, le programme offert au Québec donne accès aux soins dentaires seulement aux enfants de moins de 10 ans à certaines conditions et en fonction du revenu.

Au cours des deux prochaines années, le gouvernement fédéral et les provinces discuteront sérieusement de la forme que pourrait prendre un régime national. Je suis certain que, le moment venu, comme il l’a toujours fait dans le passé, le Québec négociera une compensation pour l’instauration d’un programme respectant des normes établies à l’échelle nationale.

Comme il s’agit dans le cas présent d’une mesure provisoire, je crois qu’il est juste que les familles qui ont des enfants de moins de 12 ans sachent qu’elles auront accès à cette prestation, qui les aidera à obtenir les soins dentaires dont leurs enfants ont besoin. Cependant, à long terme, une fois que le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires auront négocié, j’espère que des normes nationales seront établies. Évidemment, si le Québec respecte ces normes, il obtiendra assurément une compensation.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Chers collègues, cinq autres sénateurs veulent prendre la parole et il reste 13 minutes. Chaque sénateur pourra donc poser une question et, s’il reste du temps, nous ferons une deuxième ronde de questions.

L’honorable Pamela Wallin : Sénateur Yussuff, je vous remercie de vos observations. Je pense que tout le monde, en général, est d’accord avec l’intention qui sous-tend cette mesure, soit de fournir des soins buccodentaires aux enfants qui en ont besoin. Cependant, comme vous, je crains que cette mesure n’incite des assureurs privés à réduire leur contribution aux soins dentaires.

Je souligne également un autre élément qui me préoccupe — et j’estime que c’est particulièrement important puisque nous savons maintenant que des demandes frauduleuses au titre de la Prestation canadienne d’urgence, ou PCU, ont été présentées pendant la pandémie —, soit que dans ce projet de loi, même si les bénéficiaires seront tenus de conserver les reçus, il est expressément indiqué que le programme ne fera pas l’objet d’un audit pour la première année. Par conséquent, encore une fois, nous ne saurons pas si le programme est utilisé comme il se doit. Cette situation vous préoccupe-t-elle aussi?

Le sénateur Yussuff : Je suis heureux d’entendre la question de la sénatrice Wallin et surtout, bien sûr, d’y répondre. La fraude est toujours un problème dont nous devrions tous être préoccupés, peu importe le programme mis en place par le gouvernement.

Les bénéficiaires doivent attester que l’argent qu’ils vont recevoir servira à répondre aux besoins dentaires de leurs enfants. Ils devront identifier le dentiste qui fournit le service. Ils devront aussi informer le gouvernement directement dans leur demande s’ils possèdent une assurance. En outre, ils devront conserver le reçu. À tout moment, l’Agence du revenu du Canada, ou l’ARC, pourrait effectuer une vérification. Il est vrai que le bénéficiaire n’est pas tenu de présenter des reçus avant d’avoir obtenu la prestation.

Avec le temps, je pense que nous apprendrons comment les familles canadiennes obtiennent cette prestation et si des fraudes ont lieu, car l’ARC aura la possibilité d’effectuer des vérifications et de fournir des données qui contribueront à résoudre ce problème dans une large mesure.

Je ne suis pas inquiet. Je dis cela parce que j’ai des origines modestes. Les travailleurs doivent relever les mêmes défis que nous tous, comme l’accès à des choses auxquelles certains d’entre nous ont eu le privilège d’accéder. Je suis sénateur maintenant, donc j’ai des prestations de soins dentaires. À l’âge de 18 ans, lorsque j’ai travaillé pour la première fois de ma vie, j’ai eu accès à une assurance dentaire. Mais je sais que ce privilège n’est pas un droit. Les familles de travailleurs devraient pouvoir bénéficier des mêmes avantages que ceux dont j’ai bénéficié pendant une bonne partie de ma vie. Certains pourraient vouloir frauder le programme. J’espère que le projet de loi comprendra suffisamment de mesures pour dissuader les personnes qui choisiraient de frauder. Cependant, comme Canadiens, je pense que nous devrions avoir confiance que les familles de travailleurs pauvres feront ce qu’il faut pour que leurs enfants reçoivent les soins dont ils ont besoin.

L’honorable Colin Deacon : Sénateur Yussuff, je vous remercie de votre discours et d’avoir parrainé ce projet de loi. Vous n’avez pas besoin de me convaincre de l’importance des soins dentaires. J’ai travaillé dans ce domaine pendant plusieurs années. Lorsque j’ai été nommé sénateur, il y a quatre ans et demi, j’ai eu droit à une assurance dentaire pour la première fois de ma vie. C’est un privilège dont ne peuvent se prévaloir beaucoup trop de Canadiens.

Comme je m’inquiète surtout des accusations de fraude, j’aimerais simplement vous demander ceci : y a-t-on pensé? Depuis deux ans, je travaille avec l’ARC afin de l’aider à corriger un problème qu’elle a créé. Sa capacité administrative est très limitée. Les Canadiens pourront-ils télécharger leurs reçus? Cela réduirait le nombre de candidats possible à une vérification. A-t-on songé à cette possibilité? Sinon, pourriez-vous vous assurer qu’on se penche sur la question pendant l’étude au comité? À mon avis, une telle possibilité réduirait à la fois les risques de fraude et le nombre de personnes qui pourraient faire l’objet d’une vérification.

Le sénateur Yussuff : Merci, sénateur Deacon, de la question. Comme vous le savez, le projet de loi donne à la ministre de vastes pouvoirs. La ministre comparaîtra devant le comité. Ce sera pour moi un honneur de lui poser cette question sur la capacité de l’Agence du revenu du Canada de recevoir des reçus téléversés. À l’heure actuelle, ce n’est pas une exigence, mais il est vrai que la ministre pourrait prendre une décision ministérielle et exiger des reçus. Le projet de loi reconnaît clairement qu’il peut y avoir des vérifications, et l’Agence du revenu du Canada aura l’autorité d’y procéder.

J’espère avoir le temps, sénateur Deacon, lors de la comparution de la ministre au comité. Je vais lui poser votre question, et je vous reviendrai avec une réponse.

L’honorable David M. Wells : La sénatrice Wallin et le sénateur Deacon ont posé mes questions. Je cède donc mon temps de parole.

(1530)

L’honorable Mary Jane McCallum : La fourchette de 30 000 $ à 70 000 $ est très vaste; les enfants de ce groupe n’auront pas tous les mêmes besoins. Dans la tranche de revenu de 30 000 $ à 40 000 $, il est possible que les gens n’aient pas les moyens de satisfaire à des besoins de base et n’aient pas accès à certaines ressources, comme une connexion Internet, un téléphone, un service de garde d’enfants et un moyen de transport. Ce sont des problèmes avec lesquels j’ai dû composer quand j’offrais des soins dentaires. Ils limitent l’accès aux soins. L’ajout de l’Agence du revenu du Canada créera un autre obstacle pour les gens.

Que fera le gouvernement pour s’assurer que les membres de ce groupe aient un accès égal aux prestations dentaires? Que se passera-t-il s’ils se servent de cet argent pour satisfaire à des besoins de base?

L’honorable Hassan Yussuff : Je vous remercie de votre question, sénatrice McCallum. Comme vous le savez, les familles de travailleurs du Canada se butent à de multiples obstacles. Vous en avez mentionné quelques-uns avec clarté et éloquence.

Ce programme est conçu spécifiquement pour fournir des soins dentaires dont les enfants ont besoin; il n’est pas conçu pour répondre à d’autres besoins. Une famille ne peut pas demander cette prestation et l’utiliser à une autre fin. Le programme actuel devrait mener à un programme plus vaste qui sera, je l’espère, fourni par le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires d’ici deux ans.

Les familles se butent à certains obstacles, comme celui du transport, dans toutes les collectivités. Elles devront avoir recours à d’autres programmes pour répondre aux besoins dans ces domaines. Comme je le disais, elles ne pourront pas demander cette prestation puis utiliser l’argent à d’autres fins. C’est très clair. Les familles devront évidemment attester qu’elles utilisent l’argent pour payer des soins dentaires et non pour autre chose.

L’honorable Leo Housakos : Monsieur le sénateur, merci de votre discours et merci d’avoir parrainé le projet de loi. De toute évidence, celui-ci a un objectif précis. Au bout du compte, les besoins actuels de la société continuent de croitre exponentiellement, surtout à mesure que l’économie continue de se heurter à des obstacles à cause de l’inflation et de la stagnation économique qui, oserai-je dire, nous conduiront très prochainement à une récession.

Il existe actuellement beaucoup de situations difficiles et beaucoup de bonnes causes que les gouvernements ne financent pas. Je vais donner un exemple : l’autisme, qui touche et qui paralyse des familles d’un bout à l’autre du pays. Des centaines de milliers voire des millions de Canadiens sont touchés. Il n’y a aucun soutien dans les systèmes provinciaux de soins de santé et, à l’heure actuelle, il n’y a aucune stratégie nationale.

C’est un programme extraordinaire. Nous investissons quelques millions de dollars, mais où cela mènera-t-il? Combien d’autres causes le gouvernement est-il prêt à défendre? Pour combien serait-il prêt à libeller des chèques? Par exemple, il y a l’autisme, mais je pourrais en énumérer bien d’autres si nous voulons en parler.

Le sénateur Yussuff : Sénateur Housakos, je vous remercie de votre question. Autrefois, lorsqu’il s’agissait de créer une hiérarchie de droits et de privilège, ce sont ceux qui parlaient le plus fort qui réussissaient. Je ne contesterai jamais le fait que les familles aux prises avec l’autisme ont besoin d’aide. Elles devraient recevoir cette aide parce que les enfants concernés doivent avoir les mêmes chances de s’épanouir, de participer au système scolaire et de se mettre en selle dans la vie. Il faut réfléchir à ces besoins et à la façon d’y répondre. Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent travailler ensemble pour que cela se produise.

En ce qui concerne les soins dentaires, je pense que nous ne pensons pas à l’impact qu’ils ont sur les familles de salariés. Cet impact est vraiment profond. Je connais des histoires — j’y reviendrai en deuxième lecture — de personnes qui ont perdu leurs dents parce qu’elles étaient pauvres et n’avaient pas accès à des soins dentaires. Obtenir un emploi décent avec des dents en mauvais état est difficile.

J’ai eu de la chance. Je n’ai pas subi cette épreuve. Mais je sais que beaucoup trop d’enfants n’ont pas la même chance dans la vie. Je pense que le fait de donner accès à de bons soins dentaires dès le plus jeune âge permet de prévenir de nombreux problèmes de santé qui causent des difficultés plus tard dans la vie.

Bien sûr, le gouvernement a fait de cette question une priorité, comme il l’a fait pour beaucoup d’autres priorités. Cependant, en tant que Canadiens, nous devons encore construire un pays plus égalitaire. C’est un pas dans cette direction. En ce qui concerne la question que vous avez soulevée au sujet de l’autisme, j’espère que nous pourrons faire un meilleur travail pour faire en sorte que les familles canadiennes dans le besoin obtiennent un meilleur soutien de la part de leurs gouvernements national, provinciaux et territoriaux.

L’honorable Percy E. Downe : Premièrement, je tiens à vous féliciter de votre discours et de vos observations. De toute évidence, ce projet de loi est très important pour les travailleurs canadiens. Trop d’enfants sont privés de soins dentaires. Vous avez souligné les problèmes liés à l’emploi, à l’exclusion sociale et à d’autres facteurs. Quand tous les écoliers sauf certains reçoivent des soins dentaires, on voit que c’est un problème qui touche toute une classe de la société.

Deuxièmement, j’aimerais ajouter que cette mesure a été proposée grâce à la coalition néo-démocrate—libérale. Le NPD s’efforce depuis longtemps de mettre en place ce programme. Le gouvernement libéral voulait le faire depuis de nombreuses années, et c’est ce qu’il fait maintenant. C’est un excellent exemple de collaboration entre ces deux partis à la Chambre des communes.

Convenez-vous que nous devrions nous efforcer d’établir des normes de soins pour tous les Canadiens qui seraient équivalentes à celles dont jouissent actuellement les sénateurs canadiens en ce qui a trait aux soins dentaires, aux soins de santé, à l’assurance-médicaments et aux régimes de retraite?

Le sénateur Yussuff : Merci, sénateur Downe, de votre excellente question. Dans cette enceinte, nous avons beaucoup de privilèges. Si les Canadiens pouvaient en profiter, nous aurions certainement un pays beaucoup plus égalitaire. Un jour, peut-être.

Sénateur Downe, je me souviens très bien de l’époque où, dans votre province, un bon ami à moi, Wes Sheridan, élaborait le programme de soins dentaires pour aider les familles de travailleurs de l’Île-du-Prince-Édouard. Il préparait son budget et il m’a raconté ce qu’il était en train de faire. J’étais très fier de son leadership, car il a permis à de nombreux enfants pauvres de l’Île-du-Prince-Édouard — l’une des plus petites provinces du pays — d’affirmer qu’ils méritaient la même chose que ceux des autres provinces, malgré le fait qu’ils n’avaient pas le même niveau de revenu. Cela a été considéré comme une priorité.

Je crois que nous avons un long chemin à parcourir. Si seulement les Canadiens pouvaient bénéficier des mêmes avantages que les sénateurs. J’espère qu’un jour ce sera le cas. D’ici là, nous devrons continuer à y aller un pas à la fois jusqu’à ce que nous y arrivions. Merci beaucoup.

L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à titre de porte-parole de l’opposition à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-31, Loi concernant des mesures d’allègement du coût de la vie relatives aux soins dentaires et au logement locatif.

Ce projet de loi vise deux objectifs.

La partie 1 du projet de loi édicte la Loi sur la prestation dentaire et autorise le ministre de la Santé à effectuer des paiements sur le Trésor relativement aux services de soins dentaires pour les enfants de moins de 12 ans.

La partie 2 édicte la Loi sur la prestation pour logement locatif et autorise le ministre du Logement et de la Diversité et de l’Inclusion à effectuer des paiements sur le Trésor relativement à un versement unique de 500 $ aux personnes admissibles.

Je parlerai d’abord de la nouvelle Loi sur la prestation dentaire.

Les maladies buccodentaires comptent parmi les maladies chroniques les plus courantes de l’enfance, selon les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis. Les données scientifiques recueillies au cours des 20 dernières années fournissent un nombre croissant d’éléments probants qui établissent un lien entre la santé buccodentaire et la santé et le bien-être en général. En effet, on constate dans des revues scientifiques à comité de lecture que des études établissent une relation de cause à effet entre les maladies buccodentaires chez les enfants et un risque accru de diabète et de maladies cardiovasculaires et respiratoires à l’âge adulte.

Un article portant sur les effets de la santé buccodentaire sur la santé systémique publié dans la revue General Dentistry en 2017 par le Dr Shawn Kane, du Département de médecine familiale de l’Université de la Caroline du Nord, résume parfaitement les nombreuses études sur le sujet :

Un trait commun de la parodontopathie et de ces problèmes médicaux est qu’il s’agit de conditions chroniques qui prennent beaucoup de temps pour se développer et devenir cliniquement significatives. La prévention primaire — c’est-à-dire traiter le patient avant l’apparition de symptômes, d’un infarctus du myocarde, d’un accident vasculaire cérébral, de complications diabétiques ou d’une parodontopathie importante — est le défi à relever.

Les complications associées à ces pathologies entraînent une morbidité et une mortalité importantes et coûtent très cher au système de santé. Malheureusement, le manque d’accès aux soins médicaux ou dentaires primaires empêche certains patients de se tourner vers le système de santé avant qu’un problème ne se pose.

(1540)

Les soins dentaires sont un élément essentiel de la santé générale, et nous savons que les soins préventifs sont importants. Une étude de suivi menée pendant 27 ans auprès d’enfants de 8 ans a révélé qu’une mauvaise santé buccodentaire dans l’enfance était corrélée avec une mauvaise santé cardiaque à l’âge adulte. L’auteur principal de l’étude finlandaise disait clairement ceci :

Cela met en évidence l’importance d’une bonne hygiène buccodentaire et des examens fréquents chez le dentiste, dès le plus jeune âge, pour la santé en général [...]

En outre, des études montrent que visiter le dentiste pendant l’enfance a une influence sur les visites chez le dentiste à l’âge adulte. En fait, la littérature sur le développement de l’enfant indique que les expériences de la petite enfance ont une profonde influence sur la vie ultérieure. Les manuels de dentisterie pédiatrique soulignent que les enfants apprennent de leurs expériences et sont encouragés socialement par leurs parents à adopter des comportements relatifs à la santé buccodentaire. La littérature confirme que le fait d’avoir eu une visite chez le dentiste pendant l’enfance est associé à des attitudes et à des opinions positives à l’égard des soins dentaires à l’âge adulte et à des visites chez le dentiste à des fins de prévention et de traitement plus tard dans la vie.

Honorables collègues, je souscris entièrement aux principes régissant cette mesure législative, mais, comme je l’expliquerai, je n’approuve pas la conception de la prestation. La partie 1 du projet de loi C-31 prévoit l’établissement de la nouvelle prestation dentaire, qui versera une somme maximale annuelle de 650 $ par enfant de moins de 12 ans, lorsque le revenu modifié des parents est inférieur à 90 000 $. C’est l’Agence du revenu du Canada qui assurera l’application de cette prestation provisoire, versée sur demande.

J’ai trois grandes préoccupations à l’égard de la partie 1 du projet de loi. La première porte sur les compétences des provinces et des territoires, ainsi que sur l’aggravation des inégalités existantes entre ceux-ci. La deuxième concerne l’administration et la conception du programme. La troisième, quant à elle, se rapporte aux répercussions possibles sur les services qui existent déjà.

Parlons d’abord des compétences. Les soins dentaires ne relèvent pas de la compétence fédérale. Ils relèvent complètement de la compétence des provinces. C’est pourquoi le gouvernement fédéral aurait dû s’entendre avec les provinces avant d’aller de l’avant avec ce régime de soins dentaires. Honorables sénateurs, la plupart des provinces et des territoires ont déjà des programmes d’assurance dentaire pour les enfants, surtout ceux provenant de ménages à faible revenu. Cependant, il existe des écarts considérables dans l’assurance dentaire offerte aux enfants selon les provinces. J’ai examiné l’assurance dentaire pour les enfants à l’échelle du pays. À ma connaissance, l’information que je m’apprête à vous fournir est à jour. Cependant, s’il y a eu des changements dans la province ou le territoire que vous représentez, je vous prie de m’en faire part.

À Terre-Neuve-et-Labrador, tous les enfants de moins de 13 ans sont admissibles au programme de soins dentaires pour enfants, qui couvre les examens aux 6 mois, les nettoyages aux 12 mois, les obturations, les extractions et la pose d’agents de scellement de routine.

À l’Île-du-Prince-Édouard, dans le cadre du programme de prévention en santé buccodentaire dans les écoles, un hygiéniste dentaire offre des services de prévention, notamment une évaluation annuelle des risques liés à la santé buccodentaire, des conseils sur la santé buccodentaire, l’application de fluorure, la pose d’agents de scellement, le nettoyage et le polissage des dents et peut référer l’enfant à un dentiste au besoin. De plus, le programme de soins dentaires de la province permet, selon une échelle variable, d’assurer les familles qui reçoivent des prestations d’aide sociale ou qui répondent à un certain nombre de critères financiers. Les enfants ont droit à un examen annuel, à un nettoyage annuel, à la pose d’agents de scellement, aux obturations et aux extractions.

En Nouvelle-Écosse, les enfants de moins de 15 ans sont couverts et ont droit à un examen de routine par année, à deux radiographies de routine, à un service de prévention comme des instructions concernant le brossage ou l’utilisation de la soie dentaire, à des nettoyages, aux obturations, aux extractions nécessaires et à des conseils en matière de nutrition.

Au Nouveau-Brunswick, le programme De beaux sourires et une bonne vision couvre les examens de base, les radiographies, les extractions et certains traitements préventifs comme la pose d’agents de scellement et les traitements au fluorure pour les enfants de moins de 19 ans des familles à faible revenu qui n’ont pas d’assurance privée.

Au Québec, tous les enfants de moins de 10 ans sont couverts et ont droit aux examens annuels, aux examens d’urgence, aux radiographies, à l’anesthésie locale et générale, aux obturations, aux extractions, aux soins d’endodontie, aux couronnes préfabriquées et à la chirurgie buccodentaire.

En Ontario, les enfants de moins de 18 ans des ménages à faible revenu sont admissibles au programme Beaux sourires Ontario. Ce programme couvre les examens, les nettoyages, les obturations, les radiographies, le détartrage, l’extraction et les soins d’urgence.

Au Manitoba, le Programme d’aide à l’emploi et au revenu offre aux familles un soutien au revenu, ce qui inclut des prestations pour couvrir les coûts des soins dentaires de base. L’admissibilité est fondée sur le coût des besoins de base mensuels de la famille par rapport à ses ressources financières. D’autres services sont accessibles pour les enfants dans la région sanitaire de Winnipeg.

En Saskatchewan, les enfants de familles de travailleurs à faible revenu qui respectent le critère d’une évaluation du revenu ou qui reçoivent le Supplément à l’emploi de la Saskatchewan bénéficient d’une couverture incluant la plupart des services dentaires. Les enfants des familles qui reçoivent un soutien au revenu de la Saskatchewan sont admissibles à une assurance-maladie supplémentaire, ce qui inclut une gamme de services dentaires de base.

En Alberta, les enfants de moins de 18 ans de familles à faible revenu et les élèves du secondaire âgés de 18 ou 19 ans qui vivent à la maison sont admissibles aux Prestations de soins de santé pour enfants de l’Alberta. Les prestations couvrent les services de base et préventifs comme les obturations, les radiographies, les examens et le nettoyage des dents.

En Colombie-Britannique, les enfants de familles au revenu annuel net ajusté de 42 000 $ ou moins sont admissibles au programme Healthy Kids. Le programme couvre des services dentaires de base allant jusqu’à 2 000 $ tous les deux ans, ce qui comprend les examens, les radiographies, les obturations, les nettoyages et les extractions.

Au Yukon, le gouvernement fournit les services dentaires liés au diagnostic, à la prévention et à la réparation à tous les enfants, de la naissance à la 12e année. Les enfants ont droit à des examens dentaires, à des radiographies, à des conseils d’hygiène dentaire, au nettoyage, au détartrage et à l’application de fluorure et de scellant. Un grand nombre de ces services sont offerts à l’école. Si nécessaire, l’obturation, la pose de couronnes, l’extraction et d’autres soins dentaires d’urgence sont aussi couverts.

Dans les Territoires-du-Nord-Ouest, les bambins et les jeunes enfants de Fort Smith, de Fort Simpson, d’Inuvik, de Fort McPherson et de Norman Wells sont admissibles, de la naissance à 4 ans, à des soins buccodentaires primaires gratuits. Ces services incluent l’évaluation de la santé buccodentaire, le dépistage des soins à prodiguer et l’éducation sur la santé buccodentaire, l’application de vernis fluoré et l’aiguillage vers un professionnel de la santé buccodentaire. Dans ces collectivités, les enfants de la prématernelle à la 12e année sont admissibles sans frais au programme de santé buccodentaire en milieu scolaire. Les hygiénistes dentaires ou les thérapeutes dentaires effectuent des examens de la bouche, offrent des traitements préventifs et thérapeutiques, donnent de l’information sur la santé buccodentaire et aiguillent les enfants vers les dentistes.

Au Nunavut, les enfants inscrits au projet de santé buccodentaire pour les enfants sont admissibles gratuitement à un dépistage des soins dentaires dont ils ont besoin. Après cette première étape, des scellants, des obturations temporaires, du vernis fluoré et l’aiguillage vers d’autres professionnels pour des traitements sont offerts. Les services sont fournis dans divers établissements, comme les centres de santé, les écoles, les garderies et les centres communautaires.

Honorables collègues, si je vous parle de tous ces détails, c’est pour vous démontrer que les soins dentaires d’un bout à l’autre du pays existent et qu’ils sont approfondis, spécialisés et diversifiés. Même si je comprends que la nouvelle Prestation dentaire canadienne est présentée comme une mesure pour compléter les services existants, je suis préoccupée par le fait que ce programme ne tient pas compte des programmes provinciaux en place.

Contrairement aux programmes des provinces et des territoires, le programme du gouvernement fédéral ne précise pas quels soins dentaires seront couverts. La prestation fédérale peut être utilisée pour des soins préventifs, des services diagnostiques ou des soins de restauration — essentiellement tout ce qui est jugé nécessaire par le parent et le praticien pour la santé buccodentaire de l’enfant. Une prestation supplémentaire de 650 $ aidera beaucoup plus à compléter la couverture des soins au Québec, où les services dentaires de base sont déjà couverts pour les enfants de moins de 10 ans, que dans les provinces qui n’offrent pas une telle couverture, ce qui met en évidence les inégalités potentielles entre les provinces.

(1550)

En ce qui concerne l’administration du programme, le gouvernement nous a dit que l’Agence du revenu du Canada, ou l’ARC, administrera le programme au moyen de son portail en ligne Mon dossier. Les parents des enfants admissibles devront se connecter à leur compte de l’ARC pour attester de l’admissibilité de leur enfant et demander la prestation. Une fois la demande remplie, la prestation sera versée dans un délai de trois à cinq jours et les détails attestés seront vérifiés ultérieurement. Des vérifications aléatoires des déclarations de revenus feront probablement partie des vérifications de conformité.

Honorables sénateurs, les parents seront soumis à l’incertitude et à des erreurs coûteuses si le processus de demande de cette prestation est confus ou défaillant. Ce sont les défis propres à une prestation fondée sur une demande et une attestation. Il y a des risques inhérents. Les parents se retrouveront sans le sou après avoir payé les frais dentaires en cas de crise, ou ils anticiperont les besoins dentaires de leurs enfants, ainsi que le coût, et demanderont la prestation avant d’aller chez le dentiste. Sans aucun doute, il y aura des personnes qui pensaient être admissibles à la prestation, mais qui découvriront plus tard qu’elles ne l’étaient pas.

De plus, le montant de la prestation dentaire varie considérablement en fonction du revenu familial net. La note d’information fournie par le gouvernement indique :

La prestation prévoit 650 $ par enfant par an pour les parents dont le revenu familial net ajusté est inférieur à 90 000 $ pour les services dentaires reçus par leurs enfants de moins de 12 ans.

En pratique, cependant, la prestation diminue rapidement, passant de 650 $ par enfant — si le revenu familial net est inférieur à 70 000 $ — à 390 $ si le revenu familial net est supérieur à 70 000 $, mais inférieur à 80 000 $. Ensuite, la prestation tombe à 260 $ par enfant si le revenu net est supérieur à 80 000 $, mais inférieur à 90 000 $.

Cette conception du programme « payer maintenant, vérifier après » ouvre la voie à des problèmes et à de l’incompréhension. La semaine dernière, lors de l’étude préalable du projet de loi C-31 par le Comité des finances, le directeur parlementaire du budget, M. Yves Giroux, a fait une mise en garde contre le fait que, parce que la prestation est fondée sur l’attestation :

[...] l’administration devra être rigoureuse, sinon cela pourrait mener à des abus. C’est une de mes craintes en tant que contribuable.

Par ailleurs, le remboursement proactif des coûts prévus pourrait mener à des situations où des parents qui peinent déjà à joindre les deux bouts pourraient prendre le risque d’utiliser leur chèque de prestation pour payer le loyer, l’épicerie, le chauffage ou d’autres dépenses essentielles. Il pourrait aussi devenir difficile de déterminer les dépenses admissibles.

Lors de l’étude préalable au Comité des finances, la sénatrice Anderson a soulevé un point très important, et je crois que la sénatrice McCallum a soulevé aujourd’hui le même point : il arrive que des Autochtones qui sont couverts dans le cadre du Programme des services de santé non assurés doivent voyager pour obtenir des soins dentaires même si les soins eux-mêmes sont couverts. Est-ce que les frais de transport et de restauration encourus pour avoir accès à ces soins dentaires peuvent être jugés admissibles? Ce n’est pas clair.

L’administration de ce programme aurait pu être grandement simplifiée si le gouvernement fédéral avait collaboré avec les provinces et les territoires, dont plusieurs ont déjà des ententes de facturation directe avec des fournisseurs de soins dentaires.

Lors de l’étude préalable au Comité des finances, la sénatrice Omidvar a demandé au directeur parlementaire du budget, M. Giroux, s’il aurait été plus efficace de transférer de l’argent aux gouvernements provinciaux. Voici ce qu’il a répondu :

Transférer cet argent aux provinces et aux territoires aurait certainement mieux correspondu à leurs réalités et à leurs besoins, mais cela aurait probablement nécessité de longues discussions et négociations avec les provinces.

Qui plus est, selon l’Association dentaire canadienne, peu importe si elles ont une assurance ou non :

[...] les personnes ayant un revenu familial faible sont moins susceptibles d’aller chez le dentiste que les personnes ayant un revenu familial élevé.

Même si le gouvernement offre cette prestation, la nécessité de débourser un montant au moment de recevoir le traitement peut être un obstacle. En créant cette prestation, le gouvernement fédéral a-t-il tenu compte des déterminants sociaux de la santé, ou de la cause des effets sur la santé? Le gouvernement fédéral a-t-il examiné si une prestation conçue de cette façon contribuera réellement à améliorer les effets sur la santé des enfants canadiens?

L’obligation de produire une déclaration de revenus peut aussi être un obstacle. Comme Jennifer Robson et Saul Schwartz de l’Université Carleton l’ont démontré — et notre collègue nous a maintes fois aidé à le comprendre — de 10 % à 12 % des Canadiens ne produisent pas une déclaration de revenus. Par conséquent, ils ne reçoivent pas les prestations auxquelles ils sont admissibles. Dans leur article intitulé « Who Doesn’t File a Tax Return? A Portrait of Non-Filers », Robson et Schwartz présentent un portrait des Canadiens qui ne produisent pas de déclaration de revenus. Les auteurs ont indiqué ceci :

Une personne ayant un faible revenu est clairement moins susceptible de produire une déclaration de revenus. Les personnes qui proviennent d’une famille dont le revenu disponible est inférieur à la mesure de la pauvreté fondée sur le panier de consommation sont beaucoup plus susceptibles de ne pas produire de déclaration de revenus que celles dans une famille où le revenu est supérieur à ce seuil.

Lors de l’étude préalable réalisée par le Comité des finances nationales, le directeur parlementaire du budget, M. Giroux, a souligné que de plus en plus de prestations reposent sur le système d’imposition. Je le cite :

[...] le gouvernement n’est pas aussi proactif qu’il pourrait l’être en 2022, par exemple, pour prendre contact avec les personnes qui ne produisent pas de déclaration de revenus.

Ces faiblesses me préoccupent, et elles montrent les lacunes d’une prestation bricolée à la va-vite, alors qu’il aurait fallu prendre le temps nécessaire pour préparer un plan adéquat.

Je trouve également préoccupant que le gouvernement et le directeur parlementaire du budget en arrivent à des estimations différentes quant au coût du programme. Selon une note d’information distribuée par le sénateur Gold, le budget de 2022 prévoit 300 millions de dollars pour financer les soins dentaires en 2022-2023, et 600 millions de dollars en 2023-2024. Le directeur parlementaire du budget, cependant, estime que le coût du programme s’élèvera à 247 millions de dollars en 2022-2023 et à 372 millions en 2023-2024. C’est un écart de 281 millions de dollars.

Lors de l’étude préliminaire effectuée par le Comité des finances, le sénateur Boehm a demandé au directeur parlementaire du budget, M. Giroux, si — en essayant de se projeter dans l’avenir et en tenant compte de l’inflation — le montant que le gouvernement prévoit dépenser pour ce programme était réaliste. Voici ce qu’a répondu M. Giroux :

[...] il y a beaucoup trop de variables inconnues quant au format et à la conception du programme pour être en mesure de dire si l’argent suffira ou pas.

Honorables sénateurs, beaucoup d’entre vous ont une plus grande expertise en finances que moi, mais je me demande si la qualité de la conception du programme est acceptable. Il s’agit d’une prestation provisoire. J’espère sincèrement que, si le gouvernement présente un programme national permanent, ce dernier sera conçu de façon plus rigoureuse pour que nous puissions l’examiner convenablement.

Il est particulièrement important que le programme soit conçu de façon rigoureuse compte tenu de l’état de l’économie canadienne. Le 20 octobre 2022, le Toronto Star rapportait que la ministre des Finances Chrystia Freeland a dit à ses collègues du Cabinet que les présentations liées à de nouveaux programmes doivent montrer comment les ressources ministérielles actuelles peuvent servir à financer au moins 25 % des nouveaux coûts de fonctionnement. Comme le montre le projet de loi, le gouvernement doit améliorer la conception des programmes afin que les nouveaux programmes et les nouvelles prestations disposent de budgets appropriés.

Enfin, en ce qui concerne l’incidence possible sur les services actuellement en place, les premiers ministres provinciaux du Canada demandent au gouvernement fédéral de rééquilibrer le partenariat lié au financement des soins de santé.

(1600)

Plus tôt cette année, le premier ministre de la Colombie-Britannique, John Horgan, a demandé une augmentation des transferts en santé pour les programmes déjà en place :

Suis-je d’avis qu’il serait fantastique d’avoir un régime national de soins dentaires? Bien sûr. Mais il faut commencer par les principes fondamentaux, c’est-à-dire par un financement stable qui nous permettra de faire les remplacements de hanches et d’avoir une stratégie de ressources humaines pour le secteur des soins primaires.

En août, quand on lui a posé une question à propos d’une possible nouvelle prestation fédérale pour les soins dentaires, le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Blaine Higgs, a dit ceci :

[...] nous avons consacré beaucoup d’énergie, ces derniers mois et ces dernières années, à parler de la crise que connaît le système actuel de soins de santé […] Parce que, en ce moment, le service de santé ne fournit pas les soins qu’il est censé fournir. Je me concentrerais donc sur la situation actuelle : commençons par régler ces enjeux-là.

L’Association dentaire canadienne a aussi soulevé des préoccupations au sujet de l’effet que la prestation proposée pourrait avoir sur les régimes de soins dentaires déjà en place. Elle explique, dans un mémoire, que les deux tiers des Canadiens ont une assurance dentaire et que la moitié des Canadiens ont une assurance dentaire fournie par leur employeur. Voici un extrait :

[I]l est essentiel de ne pas perturber l’écosystème de soins dentaires. Il faut mettre l’accent sur les lacunes dans la couverture, particulièrement chez les populations mal desservies.

Les employeurs cesseront-ils de fournir une assurance dentaire à leurs employés? Le système actuel, qui répond bien aux besoins de beaucoup de Canadiens et de fournisseurs de soins dentaires, sera-t-il compromis?

Honorables sénateurs, certains craignent fort que les provinces et les territoires qui ont mis en place de véritables programmes de soins dentaires les abandonnent afin de réaffecter les fonds qui y sont alloués à leur système de soins de santé mis à rude épreuve.

Les employeurs peuvent y voir une occasion de réduire les coûts de l’assurance dentaire privée également. La loi sur la prestation dentaire est en effet un piètre substitut à bon nombre de programmes et de régimes d’assurance existants au pays.

Il est à espérer que le Comité des finances entendra les provinces et les territoires au sujet des répercussions possibles du projet de loi sur leurs programmes dentaires existants.

Passons maintenant à la partie 2 du projet de loi C-31, la loi sur la prestation pour logement locatif, qui établit une prestation unique non imposable de 500 $ pour le loyer payé sur une résidence principale en 2022. Cette prestation ne sera offerte qu’aux locataires dont le revenu net modifié est inférieur à 35 000 $ pour les familles ou à 20 000 $ pour les particuliers. Mais il s’agit là aussi d’un processus de demande fondé sur une attestation.

Les demandeurs doivent avoir rempli une déclaration de revenus en 2021. Ils doivent aussi attester qu’ils consacrent au moins 30 % de leur revenu net modifié au logement et qu’ils paient un loyer pour leur propre résidence principale au Canada, ce qui comprendrait l’adresse d’un immeuble locatif, le montant du loyer payé en 2022 et les coordonnées du propriétaire. Enfin, ils doivent consentir à ce que l’Agence du revenu du Canada vérifie leurs renseignements pour confirmer leur admissibilité.

On pourrait très bien se demander combien de Canadiens savent même ce qu’on entend par « revenu net rajusté ». Je me tourne vers la sénatrice Marshall, car je suis sûre qu’elle sait cela, mais on peut se demander si les Canadiens savent ce que c’est et à quoi correspond leur revenu net rajusté.

Le paragraphe 2(3) du projet de loi dit ceci :

Pour l’application de l’article 4, revenu modifié s’entend au sens de la définition de ce terme à l’article 122.‍6 de la Loi de l’impôt sur le revenu, à l’exception de la mention « fin de l’année » qui vaut mention de « date de référence ».

Voilà qui est clair — ou pas.

Ensuite, si on consulte l’article 122.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu, on peut lire ceci :

revenu modifié En ce qui concerne un particulier pour une année d’imposition, le total des sommes qui représenteraient chacune le revenu pour l’année du particulier ou de la personne qui était son époux ou conjoint de fait visé à la fin de l’année si, dans le calcul de ce revenu, aucune somme

a) n’était incluse :

(i) en application de l’alinéa 56(1)q.1) ou du paragraphe 56(6),

(ii) au titre d’un gain provenant d’une disposition de bien à laquelle s’applique l’article 79,

(iii) au titre d’un gain visé au paragraphe 40(3.21);

b) n’était déductible en application des alinéas 20(1)ww) ou 60y) ou z) [...]

Honorables sénateurs, est-ce que cela vous semble clair?

Pour savoir si on est admissible, il ne suffit pas de voir combien on a gagné l’année dernière. Il serait plus facile de pouvoir se baser sur le montant de la ligne 23600 de sa déclaration de revenus de 2021, soit celle où on indique son revenu net.

Cependant, si vous avez un conjoint, il faut ajouter son revenu net au vôtre. Ensuite, il faut encore soustraire toute Prestation universelle pour la garde d’enfants ou toute prestation d’un Régime enregistré d’épargne-invalidité pour obtenir, finalement, son revenu net ajusté. Le risque n’est pas que les Canadiens demandent la prestation alors qu’ils n’y sont pas admissibles, mais qu’ils ne la demandent pas même s’ils y sont admissibles.

Lorsque l’on entend dire aux informations qu’avec un revenu de 35 000 $ ou moins, on peut bénéficier de la prestation pour logement locatif, la plupart des gens pensent immédiatement au revenu brut, pas au revenu net, et certainement pas au revenu net ajusté.

Il est tout à fait possible, et même probable, que les personnes dont le revenu familial brut est légèrement supérieur à 35 000 $ ne prennent même pas la peine de demander la prestation, parce qu’elles supposent qu’elles n’y ont pas droit. Cela serait regrettable.

D’ailleurs, il semble que le gouvernement lui-même ne soit pas très certain du nombre de Canadiens qui seront admissibles à cette prestation. Le gouvernement a initialement engagé 475 millions de dollars pour cette prestation dans le budget de 2022. Il a depuis relevé le financement proposé à 1,2 milliard de dollars pour 1,8 million de bénéficiaires.

Quant à lui, le Bureau du directeur parlementaire du budget a estimé que le programme coûterait 940 millions de dollars pour 1,7 million de bénéficiaires.

Honorables sénateurs, en terminant, nous devons nous demander dans quelle mesure ces programmes serviront les Canadiens.

Les questions importantes au sujet de la nouvelle Loi sur la prestation dentaire sont les suivantes :

Les premiers ministres des provinces et des territoires ont-ils été consultés? Cette nouvelle prestation changera-t-elle l’administration des programmes actuels dans les provinces?

Les personnes qui sont admissibles présenteront-elles des demandes?

Le coût du programme correspondra-t-il à ce que le gouvernement laisse entendre dans sa note d’information ou aux estimations du Bureau du directeur parlementaire du budget dans sa note sur l’évaluation du coût de la mesure législative?

Les fonds distribués seront-ils utilisés comme prévu?

Comment seront effectuées les vérifications de conformité?

Plus important encore, cette prestation permettra-t-elle au bout du compte a plus d’enfants canadiens d’aller chez le dentiste ou les disparités actuelles dans les soins seront-elles maintenues?

Voici quelques questions importantes sur la nouvelle loi sur la prestation pour logement locatif :

Les personnes qui sont admissibles présenteront-elles des demandes?

Le processus de demande sera-t-il simple?

Le gouvernement a-t-il une stratégie sur le logement qui est plus globale que ce paiement unique?

Honorables sénateurs, j’ai hâte d’entendre les témoignages éclairants des témoins au comité ainsi que les débats sur ces questions au Sénat.

Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Deacon, avez-vous une question?

L’honorable Marty Deacon : Accepteriez-vous de répondre à une question, madame la sénatrice?

La sénatrice Seidman : Bien sûr.

La sénatrice M. Deacon : Merci. Vous avez conclu votre discours avec des questions très intéressantes.

Alors que vous parliez d’un grand nombre de facteurs, je réfléchissais au fait que nous sommes sur le point de renvoyer la mesure législative au comité. Si vous deviez choisir une seule lacune ou une seule préoccupation parmi toutes celles que vous avez soulevées, quel serait le principal élément sur lequel vous vous dites « le comité ne doit pas se tromper »?

(1610)

La sénatrice Seidman : Merci, sénatrice. C’est difficile de se limiter à une seule erreur. Comme je l’ai dit, la question la plus importante est la suivante : ce modèle permettra-t-il de cibler les enfants concernés et d’améliorer réellement les soins dentaires pour ces enfants?

C’est la question la plus importante. C’est la question que les sénateurs au comité et au Sénat doivent se poser lorsqu’ils examinent la structure de ce programme. Or, il ne s’agit pas vraiment d’un programme.

La sénatrice M. Deacon : En gardant cela à l’esprit et en essayant de penser à d’autres travaux que nous avons effectués — et pour lesquels nous nous sommes demandé : « Est-ce que ce programme atteint son but? Est-ce qu’il est fonctionnel? » — dans le cadre du processus d’examen, que considérez-vous alors comme important, comme utile, et ayant la capacité de changer les choses? À quoi cela ressemblerait-il pour vous?

La sénatrice Seidman : Merci, madame la sénatrice. Sur ce point, nous avons heurté un mur puisque, comme vous le savez, la collecte de données est gravement lacunaire au Canada. Nous l’avons découvert pendant la pandémie de COVID-19. Certes, chaque province recueille ses propres données, mais il y a peu de partage de données, et les données recueillies ne sont pas recueillies uniformément dans toutes les provinces. Il est donc très difficile d’établir des comparaisons.

Or, les données sont indispensables pour déterminer si un programme a atteint ses objectifs. En l’occurrence, le programme est provisoire et a une durée prévue de deux ans. Je crois qu’il sera hautement problématique de tenter de savoir si les résultats escomptés ont été atteints. Pour un programme à long terme, il faudrait prévoir un système intégré de collecte de données pour pouvoir analyser si oui ou non on atteint les objectifs.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

La sénatrice McCallum : Ma question est la même que celle de la sénatrice Deacon. Quels ont été les résultats des programmes que vous avez examinés? Je les ai étudiés moi aussi et j’ai vu des données comme : combien de personnes ont utilisé le programme? Combien de personnes ont obtenu les soins requis jusqu’au bout? Combien ont fait un suivi de leur santé buccodentaire? Combien de personnes avaient besoin de soins continus? Le cas échéant, pour quelle raison fallait-il continuer de soigner leurs dents?

La sénatrice Seidman : Merci, madame la sénatrice. Les questions que vous posez sont vraiment cruciales; cela est évident. La vérité, c’est que nous n’avons pas beaucoup de données pour répondre à ces questions. Au Canada, ce sont présentement les provinces qui sont responsables des soins dentaires prodigués aux enfants et la cueillette de données à ce sujet est inégale d’une province à l’autre. Les dentistes ne conservent pas ce genre d’information. Ils ne le peuvent pas. Si vous leur demandez, ils vous diront qu’ils ne consignent pas ces renseignements. Ce serait donc à une entité ou une autre de le faire. Il n’y a pas d’agence nationale qui recense ce type d’information parce qu’il s’agit d’une compétence provinciale.

La question à laquelle il faut absolument répondre, c’est : comment réussir à évaluer l’atteinte des résultats? C’est évident.

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-31, Loi concernant des mesures d’allègement du coût de la vie relatives aux soins dentaires et au logement locatif. J’appuie ce projet de loi en principe et, aujourd’hui, je vais axer mes observations sur la partie du projet de loi qui porte sur les soins dentaires.

Je tiens à féliciter mes collègues le sénateur Yussuff et la sénatrice Seidman de leurs excellents discours. Pour ma part, tous ces discours sur les dentistes et les enfants me ramènent à mon enfance où j’ai été traîné chez un dentiste. L’expérience m’a grandement traumatisée. Je me souviens vaguement que ma visite a nécessité beaucoup de persuasion. Je pense qu’il était question de bonbons durs, mais j’ai aujourd’hui toutes mes dents. Je suis très heureuse que mes parents aient eu les moyens d’insister sur ces soins essentiels. Il n’en va pas de même pour tous les Canadiens. Je parle en connaissance de cause.

En 2016, il y a tout juste huit ans, une famille de réfugiés syriens avec huit enfants de moins de 15 ans a débarqué à Toronto. Je les parrainais. Je peux dire que les trois premiers mois ont été extrêmement mouvementés pour eux et pour nous. Nous avons rapidement découvert un défi auquel nous n’étions pas préparés : la santé buccodentaire des huit enfants. Leurs dents étaient en très mauvais état. Elles étaient franchement pourries, car on distribuait apparemment des montagnes de bonbons durs dans les camps plutôt que de la nourriture saine.

Malgré notre manque d’expérience, nous pouvions voir qu’il y avait un problème. En effet, bien que le gouvernement fédéral prenne en charge les coûts des soins de santé des réfugiés au cours de la première année de leur arrivée, cette couverture ne s’étend pas aux soins dentaires de routine, mais uniquement aux soins dentaires d’urgence. En d’autres termes, la famille aurait dû attendre une urgence dentaire pour obtenir les soins dont elle avait besoin ou jusqu’à ce qu’elle soit admissible au programme Beaux sourires, ce qui aurait pris un an.

Livrée à elle-même, l’équipe de parrainage a dû payer de sa poche, et nous avons pu compter sur la bonne volonté de nombreux dentistes bénévoles.

La santé buccodentaire de tous les enfants, nous l’avons entendu aujourd’hui, est très importante. Permettez-moi de vous citer quelques données supplémentaires.

Selon l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé de 2010, bien plus de 50 % des jeunes de 6 à 19 ans ont eu au moins une carie et ont, en moyenne, 2,5 dents touchées par des caries. La mauvaise santé buccodentaire est la maladie chronique la plus courante chez les enfants, elle est cinq fois plus répandue que l’asthme.

Une mauvaise santé buccodentaire entraîne également une augmentation des maladies des gencives, qui sont liées au cancer — comme l’a souligné le sénateur Yussuff — mais aussi à la maladie d’Alzheimer, au diabète et aux maladies cardiaques. Une étude a montré que :

Dans les pays de l’OCDE [...], 5 % des dépenses totales de santé proviennent du traitement des maladies buccodentaires. Les coûts de traitement directs dus aux maladies dentaires dans le monde ont été estimés à 298 milliards de dollars américains par an, ce qui correspond à une moyenne de 4,6 % des dépenses de santé mondiales.

Une bonne santé buccodentaire est avantageuse pour les enfants, pour notre système de santé et certainement pour l’économie.

Chers collègues, je sais que dans le cadre du débat et des questions et réponses aujourd’hui, nous avons abordé la crainte que ce projet de loi empiète sur la compétence provinciale. Nous savons que les provinces et les territoires du Canada ont déjà des programmes de soins dentaires pour les enfants. Toutefois, selon l’Association dentaire canadienne :

Bien que plusieurs de ces programmes aient une infrastructure solide en place, d’autres sont actuellement sous-financés et, par conséquent, ne répondent pas toujours aux besoins individuels en matière de santé buccodentaire des patients pédiatriques.

L’association fait remarquer que l’Île-du-Prince-Édouard s’en tire plutôt bien en matière de santé buccodentaire, tandis que dans ma province, l’Ontario, les résultats ne semblent pas aussi reluisants.

Sénatrice Seidman, je ne conteste nullement que dans un monde idéal, il aurait été préférable d’utiliser le mécanisme existant des accords provinciaux, c’est-à-dire de signer un accord avec les provinces pour qu’elles renforcent leur propre programme. Ainsi, l’argent serait acheminé plus rapidement aux bénéficiaires. Je ne conteste pas cela. Toutefois, comme nous le savons bien, de tels accords sont difficiles à négocier. Cela prend beaucoup de temps. Chaque accord avec une province ou un territoire est unique, et inévitablement, cela entraînerait des disparités dans les services offerts aux Canadiens.

Comme l’a dit la sénatrice Seidman, le Québec fait ceci, l’Ontario fait cela, Terre-Neuve fait autrement, et ainsi de suite.

Grâce à ce programme initial de deux ans, le gouvernement atteint un certain nombre d’objectifs. Premièrement, le programme s’applique à l’ensemble du pays, quel que soit l’endroit où l’on vit. Ainsi, tous les enfants âgés de 1 à 12 ans en bénéficieront, la seule condition étant le niveau de revenu de leurs parents.

Deuxièmement, le programme entrera en vigueur pratiquement sur-le-champ, ce qui apportera aux gens une aide grandement nécessaire très rapidement.

(1620)

Troisièmement, je crois qu’il permettra au gouvernement d’évaluer l’efficacité d’un programme pilote initial de deux ans, si je puis dire, avant d’envisager le déploiement du programme permanent.

Puisque nous parlons d’ententes fédérales-provinciales, permettez-moi de parler un peu de la province où je vis. Même lorsque des ententes sont signées, il n’y a aucune garantie de reddition de comptes. En Ontario, les parents attendent toujours le programme de garderie à 10 $ par jour, bien que l’entente ait été signée, je ne sais pas, il y a peut-être même un an. Encore une fois en Ontario, nous avons vu un gouvernement accumuler un excédent budgétaire de 2,1 milliards de dollars alors que le système de santé est en ruine. C’est ce même gouvernement qui se sert de la disposition de dérogation pour régler les problèmes de main‑d’œuvre. Il me semble logique que le gouvernement fédéral fasse confiance aux familles pour prendre les bonnes décisions pour leurs enfants. Si on leur donne une chance, un peu plus d’argent et un regain de confiance financière, elles appelleront leur dentiste, prendront des rendez-vous pour leurs enfants et utiliseront l’argent pour combler les lacunes des programmes provinciaux.

À ceux qui disent que 650 $, ce n’est pas assez, honnêtement, vous avez peut-être raison. Mais le gouvernement n’a pas inventé ce chiffre du jour au lendemain. Lors de l’étude préalable au Comité des finances nationales, le directeur parlementaire du budget nous a dit que le coût moyen des soins dentaires pour les enfants de moins de 12 ans — rappelez-vous qu’à moins de 12 ans, les enfants ont encore des dents de lait — est inférieur à 650 $. L’Association dentaire canadienne a confirmé cette information.

Par rapport à d’autres territoires de compétence — cela pourrait vous intéresser —, nous rattrapons notre retard. J’ai l’impression que nous faisons toujours du rattrapage. L’Australie a mis en place un programme très semblable en 2014. Son programme fonctionne à peu près de la même manière que ce programme-ci, sauf qu’il s’applique aux enfants jusqu’à l’âge de 19 ans. Bien sûr, le modèle d’excellence serait le National Health Service au Royaume-Uni, qui couvre tous les frais dentaires et encourage les parents à commencer à aller chez le dentiste dès l’apparition des dents de lait.

Nous savons tous qu’il s’agit d’un programme urgent. Ce programme temporaire de deux ans finira par être transformé en un programme plus permanent; en tout cas, c’est ce qu’espèrent de nombreux Canadiens. Il s’adresse aux plus démunis. Les parents qui possèdent une assurance dentaire privée ne sont pas admissibles, et ceux qui sont couverts par un programme provincial ne pourront se faire rembourser que les dépenses qu’ils doivent payer de leur poche. Les provinces et les assurances privées sont toujours les premiers payeurs; le programme dentaire fédéral vient ensuite. Au comité, les fonctionnaires nous ont dit que les gouvernements provinciaux ne récupéreront aucune somme, car ce projet de loi n’a aucune incidence sur leurs programmes et ne vise pas à s’harmoniser avec eux.

J’ai quelques préoccupations au sujet de ce projet de loi. Certaines ont déjà été soulevées par d’autres, mais je crois qu’il vaut la peine de soulever encore et encore ces préoccupations, car le comité y donnera peut-être suite. On sait qu’environ 10 % des Canadiens sont des non-déclarants. Comment auront-ils accès à cette prestation? En ce qui concerne ceux qui sont déjà dans le système et qui reçoivent l’Allocation canadienne pour enfants, c’est assez simple. Ces gens ont un compte Mon dossier de l’ARC et il leur suffit d’y accéder pour demander la nouvelle prestation. Ce qui me préoccupe, ce sont les non-déclarants, qui représentent de 10 % à 12 % de la population, ce qui n’est pas négligeable.

Je ne sais pas qui sont ces non-déclarants. Je sais que les études ont démontré qu’ils ont un faible revenu. Cependant, nous ne savons pas s’ils ont des enfants, s’ils occupent un emploi ou non. Il est fort probable que ce sont des travailleurs, mais ils ne déclarent pas leurs revenus. Je pense que l’ARC doit sérieusement se pencher sur cet enjeu très crucial. J’ai interrogé les représentants de l’ARC quand ils se sont présentés devant le comité, ils m’ont dit qu’un plan stratégique a été mis en place, intitulé Préparez-vous. Cependant, il semble qu’aucune norme ni mesure n’a été prévue pour vérifier si ce plan garantit à la population canadienne que les non-déclarants obtiennent bel et bien l’information et qu’ils commencent à produire leur déclaration de revenus. J’aimerais qu’un objectif ou une mesure soit intégré dans le plan de manière à ce qu’au final, on puisse évaluer que le programme Préparez-vous a fait croître la participation des non-déclarants de 3 % ou plus. Ce serait un succès, d’après moi.

La deuxième question porte sur la capacité. Nous savons que dans certaines régions du pays, surtout dans les collectivités rurales et nordiques, il est difficile d’avoir accès à de bons soins buccodentaires. Il y a une pénurie de dentistes et d’hygiénistes dentaires. La demande accrue dans les régions du Sud — j’hésite à recourir à cette expression dans le contexte canadien, mais vous savez à quoi je fais référence — fait craindre que l’offre de services dentaires et de professionnels dans ce domaine pourrait migrer vers le Sud. L’un des résultats indésirables pourrait être que les dentistes et les hygiénistes dentaires délaissent les petites collectivités et celles situées dans les régions rurales.

Les gouvernements fédéral et provinciaux devraient envisager sérieusement de faire appel à une source de professionnels inexploitée, soit les professionnels des soins dentaires formés à l’étranger. Comme on le sait, bon nombre de ces professionnels arrivent au Canada grâce au programme d’Entrée express, qui donne priorité aux candidats détenant des compétences dont nous avons grandement besoin. Malgré cela, à leur arrivée, ils sont coincés dans ce que j’appellerais « l’enfer des titres de compétence », et il leur faut énormément de temps et de ressources pour s’en sortir.

Il s’agit d’un problème d’envergure nationale, rendu plus complexe encore parce que les professions réglementées comme la dentisterie relèvent des gouvernements provinciaux, lesquels soutiennent que cela ne les regarde pas, qu’il s’agit de professions indépendantes et autoréglementées et qu’ils ne peuvent pas les forcer à faire quoi que ce soit. Tout cela crée un véritable labyrinthe.

Cela dit, pour aider à pallier le manque de professionnels des soins dentaires dans les collectivités éloignées et rurales, il pourrait être possible d’accorder un permis d’exercice restreint aux dentistes qui ont réussi une partie déterminée de leurs examens, à la condition qu’ils travaillent à un endroit précis et aient une pratique restreinte. Un tel changement devrait évidemment être fait province par province, mais il peut encourager les provinces à envisager cette proposition-là ou d’autres propositions. Le gouvernement fédéral pourrait peut-être même prévoir des incitatifs. C’est une pratique qui a cours en Australie, à titre d’exemple.

En conclusion, chers collègues, l’absence d’une couverture dentaire pour les gens pauvres, surtout pour les enfants, ternit l’aspiration avouée du Canada à être un pays d’inclusion et de possibilités. Ce projet de loi fait un premier petit pas, mais un pas important, pour bâtir un avenir plus sain pour nos enfants.

Merci.

L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-31, Loi concernant des mesures d’allègement du coût de la vie relatives aux soins dentaires et au logement locatif.

Plus précisément, je vais parler de la disposition du projet de loi qui vise les soins dentaires pour les enfants canadiens. Je suis convaincu que l’accès à des soins dentaires adéquats pour les enfants est une question fondamentale de santé publique et de prévention des maladies, surtout après ce que nous venons d’entendre ici aujourd’hui. Nous prétendons avoir un régime universel de soins de santé au Canada, mais, aussi longtemps que certaines familles sont forcées à renoncer aux soins dentaires en temps opportun pour leurs enfants, notre vantardise sonne faux.

Lorsque mon enfant était jeune, j’ai eu la chance de travailler pour une compagnie qui offrait une excellente assurance dentaire à ses employés. Je n’ai pas toujours été aussi bien lotie. Jeune adulte, je n’ai pas eu d’assurance dentaire pendant des années. J’ai occupé des emplois de journaliste à temps plein, d’abord pour un petit magazine et ensuite pour la CBC, mais je n’avais pas de régime de soins dentaires. En fait, pendant six ans, j’ai travaillé à temps plein à titre de productrice pour la CBC, sans assurance dentaire, et mon salaire était tellement faible qu’une visite chez le dentiste semblait un luxe. Aussitôt que l’Edmonton Journal m’a embauchée, je me suis précipitée chez le dentiste pour compenser toutes ces années sans nettoyage ou examen dentaire. Je suis parfaitement consciente que des milliers de Canadiens et leurs familles n’ont simplement pas les moyens d’inclure dans leur budget une visite régulière chez le dentiste.

C’est donc dire que j’applaudis les intentions du projet de loi C-31. Après tout, c’est le lendemain de l’Halloween. Qui parmi nous voudrait refuser des nettoyages, des radiographies et des plombages à toutes les princesses, les lions, les monstres, les pompiers et les pirates qui sont en train de manger leurs bonbons d’Halloween aujourd’hui? Je le confesse, j’ai certaines réserves concernant les complexités du projet de loi entourant les champs de compétences et ses liens — ou absence de liens — avec les divers programmes dentaires des provinces et des Premières Nations. Je veux simplement mentionner ces préoccupations, parce que, de toute évidence, le projet de loi C-31 n’est qu’un premier pas dans la création d’un programme national de soins dentaires de plus grande envergure.

(1630)

Comme nous l’avons tous mentionné aujourd’hui, la santé est un champ de compétence provinciale. Nous devrons veiller autant que possible à travailler en partenariat avec les provinces.

Ces temps-ci, certains gouvernements provinciaux sont plus irritables que d’habitude à ce sujet.

La semaine dernière, le 27 octobre, la nouvelle première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, a publié sur Twitter une lettre dans laquelle elle demande à tous ses ministres de faire front commun contre les politiques fédérales qui, selon elle, « menacent les intérêts de l’Alberta », quitte à devoir renoncer aux subventions fédérales offertes par divers programmes fédéraux, en particulier les transferts ciblés. Elle a demandé à son Cabinet d’insister pour que le gouvernement fédéral respecte la répartition constitutionnelle des pouvoirs, notamment en ce qui concerne la santé et les autres programmes sociaux, et de n’accepter plutôt que les « transferts globaux sans conditions » que l’Alberta pourra dépenser entièrement à sa discrétion.

Elle a ajouté que, si des transferts globaux sans conditions — c’est-à-dire de l’argent offert sans que des conditions s’y rattachent — ne sont pas offerts, l’Alberta cherchera à se retirer des nouveaux programmes fédéraux.

La première ministre ajoute que, si le gouvernement fédéral ne veut pas « respecter le fédéralisme coopératif », alors l’Alberta refusera de participer aux consultations avec le gouvernement fédéral.

Ne me confondez pas avec la première ministre Smith. Nous sommes toutes les deux d’anciennes chroniqueuses devenues politiciennes, mais nous avons des points de vue assez différents. Je tenais à citer cette lettre, non pas parce que je partage tous ses points de vue, mais parce que je veux que nous soyons pleinement conscients de la teneur politique complexe du moment et des défis futurs que représente la tentative de mettre sur pied une sorte de régime dentaire bidon qui se servirait de l’Agence du revenu du Canada pour contourner la compétence provinciale.

Le fait de donner de l’argent directement aux familles, pour toutes les raisons qu’a expliquées la sénatrice Omidvar, semble être une option attrayante, mais elle comporte des risques politiques réels.

Bien sûr, le programme que prévoit le projet de loi C-31 s’avérerait très avantageux pour des milliers de familles albertaines. L’Alberta dispose de la Prestation pour la santé des enfants qui, comme l’explique la sénatrice Seidman, couvre les services de base et les services préventifs comme les obturations, les radiographies, les examens et le nettoyage des dents. Cependant, le plafond de revenu pour un couple avec deux enfants est de 36 634 $, alors que la nouvelle prestation fédérale serait offerte aux familles gagnant jusqu’à 90 000 $, de sorte que beaucoup plus de travailleurs seraient couverts.

Cela dit, si nous ne coordonnons pas bien les futurs programmes du fédéral et des provinces, nous nous retrouverons dans un bourbier sur le plan de la politique et des compétences. Nous ne voulons pas reproduire inutilement les services existants. Nous ne voulons certainement pas que la situation de certaines familles soit pire qu’avant. Nous ne voulons pas non plus créer d’énormes inégalités à l’échelle du pays : ce montant supplémentaire ne doit pas créer des programmes de soins dentaires extrêmement solides dans certaines provinces tout en laissant tomber les familles en difficulté ailleurs au pays.

Il faut aussi penser à la coordination de ce programme avec celui qui est offert aux familles des Premières Nations et des Inuits, c’est‑à-dire les Services de santé non assurés de Services aux Autochtones Canada, qui offrent des soins dentaires complets, y compris des services orthodontiques, aux Canadiens inuits et à ceux qui ont le statut indien.

On m’a dit que les familles inuites et des Premières Nations peuvent tout de même recevoir la prestation prévue dans le projet de loi C-31, mais seulement si elles déboursent des sommes qui ne sont pas couvertes par les Services de santé non assurés — un programme qui couvre pratiquement tout — et seulement si elles produisent une déclaration de revenus. Il est facile d’imaginer les complications qui pourraient survenir si des familles réclament la nouvelle prestation de bonne foi, mais qu’elles doivent la rembourser si une vérification établit qu’elles n’y avaient pas droit. Compte tenu du pourcentage de familles autochtones qui vivent déjà dans la pauvreté, il serait vraiment paradoxal que le projet de loi C-31 ne prévoie rien ou presque pour les aider, ou alors qu’il finisse par porter atteinte aux prestations dentaires qu’elles reçoivent déjà.

J’espère que lorsque ce projet de loi sera étudié en comité, certaines de ces questions pourront être examinées plus en profondeur. Merci et hiy hiy.

(Sur la motion de la sénatrice McCallum, le débat est ajourné.)

La Loi sur l’assurance-emploi
Le Règlement sur l’assurance-emploi

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Motion d’amendement—Motion de sous-amendement—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Duncan, appuyée par l’honorable sénatrice Clement, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-236, Loi modifiant la Loi sur l’assurance-emploi et le Règlement sur l’assurance-emploi (Île-du-Prince-Édouard), tel que modifié.

Et sur la motion d’amendement de l’honorable sénatrice Ringuette, appuyée par l’honorable sénatrice Petitclerc,

Que le projet de loi S-236, Loi modifiant la Loi sur l’assurance-emploi et le Règlement sur l’assurance-emploi (Île-du-Prince-Édouard), tel que modifié, ne soit pas maintenant lu pour une troisième fois, mais qu’il soit renvoyé de nouveau au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts afin qu’il entende le directeur parlementaire du budget concernant le rapport sur les effets budgétaires de ce projet de loi préparé par son bureau;

Que le comité fasse rapport au Sénat au plus tard le 15 novembre 2022.

Et sur le sous-amendement de l’honorable sénateur Black, appuyée par l’honorable sénateur Dagenais,

Que la motion d’amendement ne soit pas maintenant adoptée, mais qu’elle soit modifiée :

1.par adjonction des mots « des témoins additionnels, y compris » entre les mots « afin qu’il entende » et « le directeur parlementaire du budget » dans le premier paragraphe;

2.par suppression du dernier paragraphe.

L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, ne vous inquiétez pas. Je n’ai pas l’intention de parler pendant 15 minutes, mais j’aimerais vous faire part de certaines de mes préoccupations.

Tout d’abord, je peux certainement comprendre la frustration des membres très compétents de notre Comité de l’agriculture et des forêts, qui, malheureusement, au moment de leur réunion sur ce projet de loi en juin, n’avaient pas reçu certaines informations essentielles. En septembre, le directeur parlementaire du budget a présenté les conséquences financières de ce projet de loi sur les travailleurs pauvres de l’Île-du-Prince-Édouard. De mon point de vue, il est impératif que ce projet de loi soit renvoyé au comité et que celui-ci entende le directeur parlementaire du budget. C’est pourquoi j’ai proposé cet amendement.

Honorables sénateurs, depuis mon discours et l’amendement que j’ai présenté il y a une semaine, j’ai reçu des lettres à ce sujet. Dans l’une d’elles, l’auteur déclare que le rapport du directeur parlementaire du budget « est faux et, franchement, trompeur ». L’auteur d’une autre lettre dit qu’il est d’accord avec le rapport du directeur. Enfin, dans une autre lettre reçue hier de la part d’un ancien témoin du comité, on peut lire qu’il s’agit d’« un rapport d’Ottawa qui laisse à désirer ».

Chers collègues, un vieux dicton dit qu’on ne peut pas faire boire un âne qui n’a pas soif. Je crois que c’est le cas pour beaucoup de gens, peut-être trop. Mais je ne crois pas que ce soit le cas pour la majorité de mes collègues du Comité de l’agriculture et des forêts.

La comparution du directeur parlementaire du budget est la partie la plus importante de l’examen. Cependant, pour ce qui est du sous-amendement à l’étude qui a été proposé par le sénateur Black, ce dernier semblait dire dans son intervention qu’il souhaite entendre de nouveau tous les témoins ayant comparu en juin dernier. Je le cite :

Il est impératif que le comité soit en mesure d’entendre toute source d’information pertinente sur la question, afin d’éclairer le rapport du comité sur ce projet de loi. Nous ne pouvons pas nous limiter au seul avis du directeur parlementaire, étant donné que l’information publiée en septembre par son bureau est à la fois nouvelle pour nous et pour les témoins que nous avons entendus précédemment. On ne peut pas supposer que cette information n’aura pas de répercussions sur leurs opinions, puisque nous reviendrons sur ce projet de loi en sachant que ce rapport pourrait également changer nos opinions.

Cela ne me pose aucun problème.

À cette réunion de deux heures du Comité de l’agriculture, on avait invité sept témoins, qui étaient répartis en deux groupes. Même avec ce nombre de témoins, je crois sincèrement que c’est faisable. Nous pourrions réinviter les sept témoins entendus en juin et former deux groupes auxquels on consacrerait une réunion, puis tenir une autre réunion pour le directeur parlementaire du budget, pour un total de deux réunions.

(1640)

Honorables sénateurs, j’essaie de comprendre l’intérêt d’accorder un délai illimité au comité, mais je suis convaincue que les membres du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts ne voudront pas trop éterniser ce réexamen et ce nouveau rapport, puisqu’ils ont une étude intéressante et prometteuse sur la conservation des sols à terminer. D’ailleurs, j’ai bien hâte d’en lire le rapport.

Enfin, honorables collègues, j’ai reçu une lettre d’un témoin qui a comparu à la réunion de juin du Comité de l’agriculture et des forêts. Je devrais également mentionner que cette lettre s’oppose vivement au discours que j’ai prononcé.

Honorables collègues, au besoin, je rappellerai au Sénat que j’ai passé plus d’une semaine à faire des recherches à ce sujet, et chaque mot de ce discours est exact. Je défie quiconque de contester le contenu de ce discours ou la recherche qui l’appuie.

Cela dit, la lettre du témoin dit : « En votre qualité de sénatrice non élue, ne privez pas, je vous prie, nos représentants élus de l’Île-du-Prince-Édouard à Ottawa », autrement dit les députés, « de la possibilité de se prononcer sur cette question importante. »

Chers collègues, j’ai soulevé ce point dans mon discours initial parce que mon bureau avait fait la recherche pour les années 2015 à 2020. Les représentants de l’Île-du-Prince-Édouard à l’autre endroit n’ont pas pu voter sur cette question parce qu’ils n’ont jamais été saisis d’une motion ou d’un projet de loi sur le sujet.

Honorables sénateurs, je me fie à votre jugement en ce qui concerne l’amendement et le sous-amendement. J’ai aussi confiance que le Comité de l’agriculture et des forêts fera la bonne chose pour le Sénat en tant qu’institution et, au sujet de ce projet de loi en particulier, pour les travailleurs pauvres de l’Île-du-Prince-Édouard, qui devront faire face à un hiver très difficile. Merci.

L’honorable Brent Cotter : Honorables sénateurs, je dois avouer que mes observations pourraient trahir une légère impatience et je m’en excuse à l’avance. Mon discours sera court, et j’aborderai la question de façon détournée, je pense. J’entends certains d’entre vous dire : « Oh non, pas encore. »

Je sais qu’un article du Règlement interdit aux sénateurs d’utiliser des accessoires. Je veux respecter cette règle, mais j’espère qu’elle n’inclut pas la description d’un accessoire qu’un sénateur aurait utilisé s’il en avait eu le droit.

J’aurais voulu me servir d’un de mes chandails comme accessoire pour parler de ce sujet. J’aurais aimé le porter aujourd’hui. Le chandail est orné d’une courte phrase savoureuse tirée d’une décision rendue par un célèbre juge anglais, lord Denning. Votre Honneur, vous et moi ainsi que pratiquement tout le monde qui a étudié le droit connaissons lord Denning.

La phrase dont je parle, et qui est reproduite sur mon chandail, est tirée d’une vieille affaire anglaise qui a été tranchée en 1954. C’était l’affaire Marsden c Regan. Lord Denning a commencé son jugement avec la phrase suivante, dont la version anglaise se trouve sur mon chandail : « L’affaire aurait dû être simple, mais les avocats l’ont compliquée. »

Certains d’entre vous pensent peut-être que cette observation pourrait s’appliquer à de nombreuses situations impliquant des avocats, et non seulement aux affaires devant les tribunaux.

Dans une certaine mesure, je pense que cela s’applique à l’état actuel du projet de loi S-236 et à notre situation actuelle. Pour être franc, cette question aurait dû être simple, mais je crains que nous, sénateurs, l’ayons rendue compliquée.

Voici où je veux en venir : le Comité sénatorial de l’agriculture et des forêts a étudié consciencieusement le projet de loi S-236. Le travail du comité a fait l’objet d’un rapport au Sénat. Par la suite, ou au cours de ce processus, de nouveaux renseignements sont apparus, comme on nous l’a dit, concernant les répercussions financières du projet de loi, suggérant qu’il fallait l’étudier plus en profondeur. Le comité est d’accord. Étant donné que le projet de loi a suscité de l’intérêt et de l’inquiétude dans certains milieux, plus particulièrement chez les Prince-Édouardiens à faible revenu, il semble qu’il nous incombe de renvoyer le projet de loi au comité pour une étude plus approfondie — compte tenu de toutes les circonstances — afin d’entendre les témoins appropriés et que le comité fasse rapport au Sénat en temps opportun. J’espère que nous agirons de cette façon.

J’essaie d’honorer l’esprit de l’accessoire que je n’ai pas pu porter aujourd’hui. C’est tout ce que j’ai à dire. Merci.

(Sur la motion du sénateur Patterson, le débat est ajourné.)

[Français]

La Loi sur le casier judiciaire

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Pate, appuyée par l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement.

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur le projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement, déposé par l’honorable Kim Pate, le 24 novembre 2021.

D’entrée de jeu, je reconnais le travail inlassable de la sénatrice Pate à défendre les droits des criminels. Vous comprendrez cependant que ma critique de son projet de loi émane d’un autre volet du système de justice, soit celui de la défense des victimes, des familles des victimes et de leurs droits.

Cela dit, j’ai entièrement confiance en votre jugement pour trouver un juste milieu afin de permettre aux femmes et aux enfants de vivre dans leurs communautés en toute quiétude.

Le projet de loi S-212 est une réécriture en profondeur de la Loi sur le casier judiciaire. Il a pour objectif, selon la sénatrice Pate, de favoriser la réinsertion dans la société de criminels qui ont déjà purgé une peine prononcée par un tribunal, en supprimant leur casier judiciaire, afin qu’ils puissent retrouver une vie normale.

L’expression « vie normale » qu’a utilisée la sénatrice Pate dans son discours m’interpelle beaucoup. Commettre un acte criminel n’est pas un comportement normal. Détruire la vie d’une personne, compromettre son avenir ou briser la vie d’une famille ne sont pas des conséquences normales. Les victimes et leurs familles sont condamnées à une peine à vie où le chagrin, la douleur et la tristesse prennent toute la place dans leur propre normalité.

J’aimerais vous livrer le témoignage que m’avait fait parvenir Madeleine Hébert, la mère de Maurice Marcil. Maurice et Chantal Dupont ont été agressés et assassinés sur le pont Jacques-Cartier de Montréal en 1979, avant que les agresseurs ne jettent leurs corps dans le fleuve Saint-Laurent. Je cite le témoignage de Mme Hébert :

Depuis ce 3 juillet 1979, une colère ne me quitte plus. Le temps s’est figé ce 3 juillet et mon fils a encore aujourd’hui 14 ans. Il ne vieillira jamais. Je vis avec son souvenir, il est présent et il le restera jusqu’à mon dernier souffle. Pendant plus de vingt ans, je me suis murée dans le silence, j’ai gardé ma douleur au fond de moi. Je ne pouvais pas évoquer ces crimes. Toute manifestation de groupe sur la voie publique me faisait fondre en larmes, il m’était impossible de prendre un bébé dans mes bras. Ce sont là quelques manifestations de ma souffrance. Les criminels avaient, comme ils le clament, payé leur dette à la société et ils ne concevaient pas de mourir en prison. Moi, ils m’ont condamnée à une vraie perpétuité et je ne comprends pas qu’ils puissent oser penser qu’ils sont quittes face à la justice.

(1650)

Le cas de Madeleine Hébert illustre fort bien la souffrance que peut éprouver la famille d’une victime à la suite d’un acte criminel.

Lorsque j’écoute les discours de la sénatrice Pate ou de la sénatrice Bernard, j’ai le sentiment qu’il y a inversion entre la place qu’occupent les victimes et celle qu’occupent les criminels dans notre système de justice. Le criminel devient la victime, le système judiciaire brime leurs droits et les vraies victimes n’existent plus.

Selon la sénatrice Pate, les dispositions de la Loi sur le casier judiciaire empêchent actuellement les criminels de trouver du travail, de se trouver un logement et de se réhabiliter dans la société. Les propriétaires et les employeurs exerceraient une discrimination envers les criminels, et ce, même si rien ne le justifie du point de vue de la sécurité publique.

Honorables sénateurs, je vous rappelle que la Constitution protège déjà les droits des criminels de toute discrimination à l’emploi. En effet, l’article 18.2. de la Charte des droits et libertés de la personne dit ce qui suit :

Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon.

L’employeur a le droit de vérifier les antécédents criminels du candidat, mais ne peut lui refuser l’emploi auquel le candidat a postulé sur le seul motif que ce dernier détient un casier judiciaire.

Le projet de loi de la sénatrice Pate change totalement le sens et l’objectif de la loi, comme le prouve le nouveau titre, puisque la loi s’intitule dorénavant la Loi relative à l’expiration du casier judiciaire des personnes condamnées.

Dans son discours à l’étape de la deuxième lecture, la sénatrice Pate a également déclaré ce qui suit :

Ce projet de loi vise à éliminer des obstacles inutiles qui nuisent à l’intégration communautaire des personnes ayant un casier judiciaire [...]

L’expression « obstacles inutiles » est, à mes yeux, une vision erronée et subjective. Actuellement, en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, la Commission des libérations conditionnelles du Canada doit mener une enquête lorsqu’une demande de suspension lui est transmise. Selon la loi, cette enquête sert notamment à déterminer si le demandeur est apte à présenter une demande, à savoir quelle conduite il a observée depuis la date de sa condamnation et à déterminer si le fait d’ordonner la suspension de son casier judiciaire est susceptible de nuire à l’administration de la justice.

Cela permet à la Commission des libérations conditionnelles du Canada d’étudier chaque cas qui lui est présenté afin de s’assurer que le demandeur ne présente pas un risque pour la sécurité publique. Cela permet également de faire respecter le critère prépondérant de la commission, qui est la protection de la société.

Le délinquant doit adopter une démarche responsable en présentant une demande, en s’acquittant des frais relatifs à cette demande, en s’assurant de la pertinence et de la véracité des éléments apportés à son dossier et, évidemment, en adoptant une bonne conduite.

Dans mon esprit, pour qu’un délinquant puisse se réhabiliter, il doit d’abord se responsabiliser. Après tout, il a fait le choix de commettre un crime, et si une demande de suspension de casier judiciaire est une démarche trop difficile à mener, peut-être ne s’est-il pas responsabilisé suffisamment pour mériter une suspension de casier.

Dans la société, les Canadiens doivent chaque jour se débrouiller seuls pour trouver un emploi, trouver un logement et se soigner, malgré les contraintes auxquelles ils doivent parfois faire face dans la vie. Dans le monde judiciaire, les femmes victimes de violence conjugale doivent entreprendre des démarches seules pour fuir, protéger leurs enfants et se protéger elles-mêmes de leur agresseur. Elles doivent quitter leur logement, trouver un nouvel emploi, changer de vie et, dans bien des cas, payer elles-mêmes les services d’un avocat.

Est-il important de rappeler à la sénatrice Pate que demander un pardon est un droit et que l’obtenir est un privilège? Le projet de loi de la sénatrice Pate a pour principe d’automatiser la suspension du casier judiciaire en qualifiant ce nouveau processus d’expiration. Les délinquants n’auront alors plus besoin de présenter une demande à la commission, puisque le casier expirera de lui-même à la fin de la période applicable à l’expiration légale de la peine. La notion de mérite disparaît totalement.

Cette nouvelle disposition retire aux commissaires de la Commission des libérations conditionnelles du Canada un pouvoir important d’enquêter afin de déterminer si une personne est apte à ne plus détenir de casier judiciaire. C’est une perte de pouvoir importante pour la commission, et c’est un risque de plus pour la sécurité publique. Actuellement, la commission peut rendre une décision ayant trait à la suspension du casier judiciaire en tenant compte à la fois de la bonne conduite du demandeur, du bénéfice mesurable pour la société et du fait que la demande ne sera pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

Autrement dit, la commission ne peut pas suspendre un casier judiciaire pour le seul motif que le délinquant a observé une bonne conduite pendant la période applicable à l’expiration légale de la peine. Les commissaires doivent se pencher sur d’autres aspects du dossier et le fardeau revient au demandeur, en vertu du paragraphe 4.1(2), qui dit ce qui suit :

[...] le demandeur a le fardeau de convaincre la Commission que la suspension du casier lui apporterait un bénéfice mesurable et soutiendrait sa réadaptation en tant que citoyen respectueux des lois au sein de la société.

Bien entendu, la loi prévoit des exceptions et certaines catégories de crimes moins graves ne sont pas concernées par le processus que je viens de décrire, du moins, pas complètement. Par contre, les cas les plus graves, qui concernent des infractions au Code criminel qui sont généralement d’ordre sexuel, qui ont trait à la pédophilie ou à l’exploitation sexuelle de mineurs sont exclus de la possibilité de demander une suspension.

Le projet de loi de la sénatrice Pate vient effacer totalement ce processus que je viens de décrire. L’expiration automatique du casier judiciaire efface le processus d’enquête menée normalement par la commission pour vérifier la pertinence de suspendre un casier judiciaire, comme le prévoit la loi actuelle pour chaque demande de suspension de casier. Il est dorénavant à la discrétion de la commission de faire des vérifications avant l’expiration d’un casier judiciaire et d’empêcher son expiration uniquement si le délinquant a commis un nouveau crime ou s’il fait face à une nouvelle accusation.

Les principes sur lesquels la commission doit s’appuyer, comme le bénéfice mesurable pour la société et le fait que cette demande ne soit pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, ne sont plus applicables.

Le fardeau ne repose plus sur le délinquant; il repose désormais sur la commission. Le projet de loi prévoit une expiration automatique du casier judiciaire par le simple écoulement du temps après différentes périodes prévues à l’expiration des peines, selon les divers types d’infractions. Aucune demande, sauf pour quelques exceptions, ne devrait être faite par la personne qui souhaite voir son casier suspendu et, ainsi, aucune déclaration de sa part ne sera faite à la Commission des libérations conditionnelles. Par conséquent, il deviendra impossible pour la commission d’avoir la preuve que la personne a délibérément fait une déclaration inexacte ou trompeuse ou qu’elle a dissimulé une information importante.

Cependant, si les vérifications menées par la commission révèlent qu’il y a eu une condamnation, un article est prévu pour éviter l’expiration du casier. Nonobstant tout cela, le projet de loi prévoit une disposition qui permet tout de même à la commission d’autoriser l’expiration du casier malgré la récidive du délinquant, en vertu du paragraphe 4.1(3), qui se lit comme suit :

La Commission doit, sur demande, ordonner l’expiration du casier lorsqu’elle est convaincue qu’une telle ordonnance soutiendrait la réadaptation du demandeur en tant que citoyen respectueux des lois au sein de la société et ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

Cela est inquiétant, car c’est une manière de cautionner et d’autoriser la récidive. Au nom de quel principe devrait-on faire disparaître le casier judiciaire d’un individu qui continue à ne pas respecter les lois? Si nous faisons preuve de laxisme lorsque nous jugeons un récidiviste, nous l’incitons à recommencer.

Un autre point du projet de loi qui me semble alarmant et qui devrait vous interpeller, chers collègues, c’est que, dorénavant, les délinquants qui ont commis des infractions figurant à l’annexe 1 de la loi actuelle pourraient voir leur casier expirer automatiquement.

(1700)

L’annexe 1 de la loi comporte, comme je le disais précédemment, des infractions graves. Nous y retrouvons entre autres ceux-ci : contacts sexuels avec un mineur; bestialité en présence d’un enfant âgé de moins de 16 ans; incitation d’un enfant de moins de 16 ans à commettre la bestialité; corruption d’enfants; pornographie juvénile; traite de personnes âgées de moins de 18 ans. Ces deux derniers crimes — pornographie juvénile et traite de personnes âgées de moins de 18 ans — connaissent l’augmentation la plus importante en ce moment au Canada.

L’annexe 1 énonce des crimes à caractère sexuel, pour la plupart, notamment contre les enfants. Nous savons que le taux de récidive chez les auteurs de crimes sexuels est très élevé. Certaines recherches indiquent un taux de récidive de 48 % au cours des cinq ans suivant une libération conditionnelle, et un taux de réincarcération de près de 70 %.

Pour cette raison, la Loi sur le casier judiciaire enlève aux auteurs de crimes mentionnés à l’annexe 1 la possibilité de présenter une demande de suspension avec certaines exceptions. Or, ce ne sera plus le cas, chers collègues, si vous adoptez le projet de loi S-212.

Par ailleurs, ce qui est d’autant plus alarmant, c’est que les délinquants reconnus coupables de crimes sexuels figurant à l’annexe 1 devront attendre seulement cinq ans après la fin de leur peine pour que leur casier judiciaire disparaisse automatiquement. Or, les statistiques le démontrent : le taux de récidive est de 48 % cinq ans après une libération conditionnelle.

Un autre point qui me semble alarmant concerne des changements apportés à la révocation ou à la nullité d’une décision de la commission. La loi actuelle permet de révoquer ou de rendre nulle une décision de suspension de casier prise par la commission, si le demandeur a récidivé, s’il a menti pendant sa demande ou s’il n’y était tout simplement pas admissible. La sénatrice Pate tente de modifier ce processus en réduisant la possibilité de révocation ou la nullité citée aux annexes 1 et 2 de la loi seulement dans le cas où le délinquant aurait menti pendant les vérifications faites à son dossier. Ces vérifications seraient difficiles à faire, car, comme je l’ai mentionné, le projet de loi ne prévoit plus l’obligation pour le délinquant de présenter une demande. Comment la commission peut-elle découvrir un mensonge en l’absence d’information?

En résumé, les autres crimes et délits ne figurant pas à l’annexe 1 ou 2 ne peuvent plus être révoqués, et dans le cas des contrevenants dont le casier a expiré et qui récidivent, toute nouvelle infraction sera inscrite dans un nouveau casier vierge, car l’ancien sera tout bonnement effacé; finie la récidive.

C’est un processus dangereux pour la sécurité publique, car cette approche laxiste ne fera que renforcer le sentiment d’impunité des délinquants, et le fait d’effacer les crimes passés crée une nouvelle injustice et une revictimisation pour les victimes d’actes criminels.

Je m’oppose à la réponse que la sénatrice Pate nous a fournie durant son discours à l’étape de la deuxième lecture concernant l’absence de risque pour la population qu’entraîneraient les modifications proposées, en faisant référence à sa troisième question.

Comme on l’a mentionné, le projet de loi, tel qu’il est libellé, entraînera des répercussions majeures sur le nombre de cas où un casier judiciaire expiré redeviendra accessible, soit par cause de révocation de l’expiration ou par cause de nullité. Cela deviendra très rare.

Ainsi, les services policiers et les tribunaux seront privés d’informations cruciales concernant le passé criminel d’une personne, ce qui sera lourd de conséquences, notamment dans le cas de la remise en liberté d’un prévenu où le juge doit considérer certains facteurs, notamment le fait que le prévenu ait antérieurement été condamné pour d’autres infractions criminelles, comme le prévoit l’alinéa 515(3)b) du Code criminel.

Le passé judiciaire du prévenu sera un indicateur très pertinent que le tribunal pourra considérer dans son analyse des motifs prévus au paragraphe 515(10) du Code criminel. Par exemple, le tribunal pourrait arriver à la conclusion qu’une personne ayant été condamnée à plusieurs reprises pour différentes infractions criminelles par le passé pourrait commettre à nouveau une infraction criminelle si elle était remise en liberté en attendant son procès, et que la détention était donc nécessaire pour la protection ou la sécurité du public. En l’absence de cette information, un individu pourrait être remis en liberté et être considéré comme étant dangereux.

Pour faire cette analyse, il est impératif que le tribunal puisse avoir accès aux condamnations antérieures de la personne accusée. C’est également le cas pour les cours d’appel. J’aimerais vous citer un passage rendu par la juge Sophie Lavallée, de la Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt S.J. c. R :

[…] le juge d’appel doit jeter « un regard dans le passé » afin d’apprécier « le respect éventuel de l’ordonnance de mise en liberté ». Il peut alors tenir compte d’une multitude de facteurs, dont les suivants : […]

d. le casier judiciaire du requérant en ce qui a trait au respect des ordonnances judiciaires;

J’aimerais également me pencher sur l’étape de la sentence dans le cadre du processus judiciaire, où je réfute également l’argument que la sénatrice Pate propose dans son discours prononcé le 30 novembre 2021 en faisant référence à sa deuxième question, que je cite : « [...] l’expiration du casier judiciaire rend-elle les peines plus clémentes? En un mot : non. »

Les tribunaux ont clairement illustré le fait que le passé judiciaire d’un délinquant est d’une grande importance au moment de la détermination de la peine. La juge Charron de la Cour suprême du Canada, dans la décision R c. Angelillo, s’exprimait ainsi, et je cite :

Les objectifs de la détermination de la peine ne peuvent être pleinement réalisés que si le tribunal dispose des informations pertinentes pour l’appréciation de la situation, du caractère et de la réputation de l’accusé.

Elle poursuit en précisant ceci :

Il ne fait aucun doute que le tribunal peut prendre en compte l’existence de condamnations antérieures pour déterminer la peine appropriée. […] La peine infligée risque d’être plus sévère dans le cas d’un délinquant récidiviste, mais cette conséquence ne porte pas atteinte au droit de ce délinquant de ne pas être puni de nouveau. Dans les limites de la proportionnalité, la peine infligée dans un tel cas n’est que le reflet du processus individualisé de la détermination de la peine.

C’est également le cas dans l’arrêt R. c. Simeunovich de la Cour d’appel de l’Ontario, rendu en 2019, et je cite :

[Traduction]

Le casier judiciaire chargé de l’appelant a été un facteur important dans cette affaire. Il a eu une incidence sur ses perspectives de réadaptation. Il était pertinent à la dissuasion individuelle. De plus, le juge de première instance a reconnu que l’incorrigibilité de l’appelant soulève des préoccupations liées à la protection du public.

[Français]

De plus, l’arrêt R. c. Cardinal de la Cour d’appel de l’Alberta, rendu en 2011, énonce ce qui suit, et je cite :

[Traduction]

[...] Le juge qui a prononcé la peine n’a pas fait d’erreur en concluant que le casier judiciaire est pertinent dans l’examen des autres principes de détermination de la peine. Le casier judiciaire est pertinent, entre autres, en ce qui a trait à l’examen de l’exemplarité de la peine, de la dissuasion individuelle, de la proportionnalité, du risque de récidive et d’envisager la nécessité d’une détention préventive pour prévenir d’autres infractions.

[Français]

Il est donc certain que dans le cas où le passé judiciaire d’un délinquant est inconnu du tribunal au moment où il détermine la peine à lui être octroyée — car il aurait bénéficié de l’expiration automatique de son casier et ne se retrouverait pas dans une des rares situations où la révocation ou la nullité du casier s’appliquerait —, la décision du juge quant à la sentence à imposer sera biaisée. Le portrait du délinquant sera faussé par l’absence des informations relatives à son passé judiciaire.

En d’autres mots, ce projet de loi vise principalement à réduire les sentences futures à être imposées aux récidivistes, ce qui est contraire aux principes de droit qui guident le système de justice canadien. Pire, il fait disparaître du radar des policiers les antécédents des criminels qui pourraient être surveillés par ces derniers.

Honorables sénateurs, malgré le fait que je considère ce projet de loi comme étant dangereux pour la sécurité publique et laxiste envers les récidivistes, je tiens à souligner le travail et la persévérance de la sénatrice Pate dans sa volonté de veiller à un système de justice plus humain et plus juste. Dans une société démocratique comme celle du Canada, il est évidemment important d’offrir un système de justice qui respecte les droits de la personne et qui traite les délinquants avec dignité et humanité. C’est ce qui nous différencie des sociétés autoritaires et des dictatures où la justice est très souvent contrôlée, dépendante et partiale.

Je comprends le combat de la sénatrice Pate et je suis parfaitement conscient du travail qui doit être accompli pour arriver à un système qui sera plus adapté à la situation que vivent les peuples autochtones. Cependant, ce que je reproche à ce projet de loi ainsi qu’à son approche, c’est cette manière de généraliser à tout le système de justice un problème qui a été cerné.

(1710)

Prenons le cas des peines minimales obligatoires. Il y a évidemment un débat national sur la pertinence de certaines de ces peines, qui pourraient avoir un effet contraire à leurs objectifs.

Personnellement, je suis favorable à ce que l’on se penche sur ces questions et que nous fassions les correctifs nécessaires, s’il y a lieu. Cependant, si je pense au projet de loi S-213 de la sénatrice Pate à ce sujet, qui supprime l’obligation de toutes les peines minimales, son approche dépasse le débat d’aujourd’hui et provoque un autre débat qui est beaucoup plus radical et binaire. Dorénavant, nous sommes obligés de nous prononcer pour ou contre les peines minimales obligatoires. Il n’y a plus de place pour la réflexion, car nos positions deviennent antinomiques. Il y a, d’un côté, les conservateurs qui sont pour, et, de l’autre, les indépendants qui sont contre.

Si je prends le cas du casier judiciaire, je ne pense pas qu’il était nécessaire de réécrire entièrement la loi fédérale et d’en changer totalement le sens, sous prétexte que certains délinquants ne peuvent pas trouver un emploi ou un logement. La loi actuelle fonctionne bien et peut, bien entendu, être modifiée si elle pose un problème dans certains cas, comme celui dont nous a parlé la sénatrice Bernard. Cependant, il n’est pas pertinent de changer totalement une loi qui fonctionne bien.

La preuve en est qu’aujourd’hui, dans l’histoire du Service correctionnel du Canada, on a atteint un plancher en ce qui a trait aux personnes incarcérées et un plafond pour ce qui est des personnes suivies dans la collectivité. Historiquement, le système correctionnel comptait toujours plus de personnes incarcérées que de contrevenants suivis dans la collectivité. Aujourd’hui, en 2022, nous avons beaucoup plus de gens qui sont suivis dans la société que de gens qui sont incarcérés; donc, le système fonctionne.

Actuellement, à cause de la pandémie et de la gestion catastrophique des finances par le gouvernement Trudeau, beaucoup de Canadiens sont aux prises avec l’inflation, ont perdu leur emploi ou n’arrivent plus à se loger, car les loyers sont trop élevés ou leur cote de crédit ne leur permet pas de se trouver un logement. Demandez-leur s’ils sont d’accord sur le fait que leur argent servira à payer les frais relatifs à l’expiration des dossiers judiciaires pour faciliter la vie des délinquants qui ne trouvent pas d’emploi ou de logement. Je ne pense pas que leur réponse serait positive.

Je conclus mon discours en vous posant une question, à vous, chers collègues : êtes-vous favorables à ce que ce projet de loi permette à des individus condamnés pour pédophilie, pour possession de pornographie juvénile ou de matériel obscène, pour traite de mineurs, de voir leur casier judiciaire disparaître automatiquement cinq ans après avoir purgé leur peine?

Je pense que, comme sénateurs, comme parents et grands-parents, poser la question, c’est y répondre. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Traduction]

La Loi sur les compétences linguistiques

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

À l’appel des autres affaires, projets de loi d’intérêt public du Sénat, deuxième lecture, article no 9, par l’honorable Pierre J. Dalphond :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Carignan, c.p., appuyée par l’honorable sénateur Housakos, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-229, Loi modifiant la Loi sur les compétences linguistiques (lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick).

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je constate que cet article en est au 15e jour, mais je ne suis pas prêt à prendre la parole. Par conséquent, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 4-15(3) du Règlement, je propose l’ajournement du débat pour le temps de parole qu’il me reste.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Le débat est ajourné.)

Projet de loi de Jane Goodall

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Klyne, appuyée par l’honorable sénateur Harder, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-241, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (grands singes, éléphants et certains autres animaux).

L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-241, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (grands singes, éléphants et certains autres animaux). Je remercie le sénateur Klyne de le présenter de nouveau.

Ceux d’entre nous qui croient en un être supérieur, qu’on l’appelle Dieu ou le Créateur, s’entendent généralement pour dire que chaque élément de la création a une raison d’être, une intention. Selon ce point de vue holistique, l’humanité est seulement une espèce parmi les millions d’espèces qui vivent ensemble sur la Terre mère. Les humains sont un petit morceau d’un immense casse-tête, mais on constate que les gestes irréfléchis qu’ils posent mettent gravement en péril l’avenir de notre planète en plus de menacer les autres formes de vie sur cette planète. Tous les organismes vivants ont une valeur intrinsèque sur la Terre, et toutes nos relations méritent d’être protégées parce qu’elles ont de la valeur.

D’un point de vue culturel, toutes nos relations répondent à un besoin humain intrinsèque, un besoin de renouveau spirituel et d’inspiration artistique. Toutes nos relations — l’aigle et le castor — et leur habitat naturel, que certains appellent la nature sauvage, ont profondément façonné notre identité nationale. Ils influencent encore fortement notre vision de nous-mêmes en tant que Canadiens. Quant aux animaux exotiques, ils ont une valeur intrinsèque tout aussi importante dans les pays d’où ils sont originaires.

Or, que fait l’humain pour les observer? Il les confine dans des habitats artificiels loin de leur habitat d’origine, le plus souvent dans le but égoïste de se distraire. Dans son livre, Thinking Like a Mountain, Robert Bateman cite le grand biologiste et écologiste E.O. Wilson : « [...] Ce qu’on retiendra davantage du siècle dernier, ce ne sont pas les exploits technologiques, mais la destruction de la diversité. »

M. Bateman ajoute ceci :

L’humanité doit trouver une autre définition du progrès qui serait plus raffinée et complexe et qui accorderait autant d’importance au patrimoine naturel qu’au patrimoine humain. Nous devons bien prendre en considération la santé et le bien‑être des générations futures [...] Nos petits-enfants [...] apprendront à découvrir toutes les merveilles qui se trouvent sur terre, dans les airs et dans les eaux. Ils seront témoins de la façon miraculeuse dont le monde se renouvelle et se repeuple lorsque la nature suit son cours et ses cycles habituels. Cependant, ils n’en garderont pas de nombreux souvenirs à cause des dernières générations qui ont tant détruit.

Honorables sénateurs, nous devons reconnaître qu’il s’agit là d’un problème mondial. En somme, les animaux que le projet de loi S-241 vise à protéger ne devraient pas se trouver au Canada. Comme le sénateur Klyne l’a indiqué plus tôt dans ses observations, la vaste majorité de ces animaux ne devraient jamais se retrouver dans un pays avec un climat aussi rigoureux que celui du Canada.

À ce jour, bon nombre de ces animaux — qui sont biologiquement conçus pour vivre dans leur pays d’origine — sont contraints de vivre une existence à la fois inhabituelle et injuste, qui met parfois leur vie en danger. Cela inclut des animaux aussi imposants que les éléphants, qui sont forcés de vivre à l’intérieur pendant de nombreux mois de l’année, étant donné qu’ils ne sont pas faits pour vivre dans le climat enneigé du Canada. Pour être franche, ce dont nous sommes témoins est contre nature et amoral.

Chers collègues, les animaux les plus chers à mon cœur sont originaires du Canada. Chez moi, je me préoccupe du loup, du bison, de l’ours et de l’esturgeon. C’est parce que je m’inquiète pour eux que je peux comprendre la situation actuelle des animaux exotiques, qui sont tout aussi menacés, mais pour des raisons bien différentes.

Comment avons-nous pu, en tant qu’êtres humains, nous déconnecter à ce point de la nature? Dans le livre intitulé Rewilding Our Hearts : Building Pathways of Compassion and Coexistence, l’auteur Marc Bekoff écrit :

Nous vivons un sentiment de détachement par rapport à la nature lorsque nous faisons l’apprentissage du massacre gratuit des espèces sauvages ou lorsque nous y participons, lorsque les champs et les forêts sont coupés à blanc pour permettre le développement des banlieues et lorsque les écosystèmes sont anéantis par la pollution ou d’autres répercussions des activités humaines. Nous faisons l’expérience personnelle de la séparation entre nous et les animaux non humains lorsque nous les mettons en cage dans les zoos. Nous inculquons à nos enfants le détachement par rapport à la nature en leur enseignant principalement à l’intérieur, assis à des bureaux, devant des écrans d’ordinateur. Le détachement découle de la croyance que les êtres humains sont supérieurs à tous les autres animaux et que nous sommes destinés à dominer les autres espèces et à utiliser la Terre dans notre seul intérêt.

(1720)

M. Bekoff ajoute :

Par ailleurs, nous ne nous soucions pas également de toutes les causes animales. En effet, les gens sont souvent indignés par des incidents particuliers de cruauté envers les animaux — par exemple, le massacre en octobre 2011 de 49 animaux sauvages vivant en captivité, en Ohio —, mais ils restent insensibles face à l’abattage de milliards d’animaux à des fins d’alimentation et de recherche, ou à l’horrible traitement réservé aux animaux utilisés à des fins de divertissement dans des zoos, des aquariums, des cirques et des rodéos.

Honorables sénateurs, je vous exhorte à faire preuve de cohérence à l’égard du projet de loi S-241. Le Sénat a fait un travail crucial quand il a adopté une mesure législative semblable pour les baleines et les dauphins en captivité. Assurons-nous de toujours faire preuve de compassion pour tous les animaux avec lesquels nous partageons cette planète. Pour ce faire, il faut d’abord renvoyer ce projet de loi au comité sans délai.

Chers collègues, j’aimerais vous donner un aperçu de la façon dont je perçois ces enjeux. À cette fin, je vais citer les propos du juge Berger dans l’ouvrage Stories Told: Stories and Images of the Berger Inquiry, rédigé par Patrick Scott.

Les Autochtones du Canada, voire tous les peuples indigènes du monde, affirment qu’ils ont une relation spéciale avec l’environnement. Les Autochtones du Nord ont déclaré devant l’Enquête qu’ils se croient inséparables des terres, des eaux et des animaux avec qui ils partagent ce monde. Ils se considèrent comme les gardiens des terres, qui leur servent tout au long de leur vie et qu’ils transmettent à leurs enfants, qui les transmettent à leur tour à leurs enfants. Dans leurs langues, il n’existe pas de mot pour exprimer une région inexploitée.

Plus loin, le rapport se poursuit ainsi :

Ce lien avec la terre est tellement différent du concept des Blancs, que seuls les Autochtones peuvent vraiment l’expliquer [...] L’identité, la fierté, la dignité et l’esprit d’indépendance des Autochtones sont étroitement liés à leurs terres et à un mode de vie centré sur celles-ci [...] Les Autochtones qui ne sont pas eux-mêmes chasseurs ou trappeurs, mais qui contribuent au bien-être de leur société d’une autre manière, n’en sont pas moins liés à leurs terres, source de leur identité et de leur fierté de peuple.

Honorables sénateurs, comment se fait-il que les humains soient si étroitement investis dans le concept de captivité? Je parle de notre tendance à prendre des êtres vivants et à les confiner dans des espaces étrangers et non naturels, puis à présenter cette situation comme une forme d’éducation ou de commerce.

La folie humaine nous a permis de normaliser le fait de confiner de nos propres frères et sœurs. Nous l’avons vu sous diverses formes, notamment les pensionnats, les camps d’internement et les camps de réfugiés. Cette folie nous a enhardis, alors nous avons étendu ce confinement contre nature à des animaux sans méfiance.

Un humain ou un animal peut-il véritablement vivre en captivité, ou ne fait-il alors qu’exister? Ayant passé 11 années désolantes de ma vie dans un pensionnat, je peux dire sans équivoque que dans un tel environnement, on existe, mais on ne vit pas. La nature et la biologie dictent aux humains et aux animaux en captivité de se refermer pour tolérer la terrible situation de confinement dans laquelle ils se trouvent. Ce genre de confinement modifie fondamentalement les comportements physiques et mentaux. Les torts ainsi causés sont indéniables.

Chers collègues, notre traitement de ce problème causé par les humains, à l’égard duquel une intervention se fait attendre depuis longtemps, reflétera nos valeurs en tant que Canadiens et en tant que sénateurs. Ne voulons-nous pas que ces animaux magnifiques soient protégés, qu’ils demeurent dans leur habitat naturel et qu’ils fassent partie de notre monde pendant les sept prochaines générations?

À mon avis, deux options fondamentales s’offrent à nous. Premièrement, nous pouvons décider consciemment que la protection de la biodiversité est sans importance et qu’elle ne relève pas de notre responsabilité, malgré le fait que nous sommes à l’origine de cette situation. Nous pouvons exprimer cette position en laissant le projet de loi moisir.

Autrement, nous pouvons décider consciemment que ces animaux ont droit au respect et à la protection. Si nous le faisions, cela impliquerait de reconnaître que les lieux contre nature et les environnements que nous avons fabriqués font plus de tort que de bien. Cela impliquerait également que nous défendions les intérêts de ces animaux en permettant la tenue d’un vote sur ce projet de loi.

Honorables sénateurs, même si c’est l’humain qui a créé le concept de captivité, nous avons maintenant la possibilité de corriger cette erreur en partie.

Comme l’écrit Marc Bekoff dans le livre dont j’ai parlé plus tôt :

Nous avons souvent des attentes irréalistes, ou la façon dont nous définissons nos besoins et bâtissons nos collectivités fera inévitablement en sorte que les animaux deviennent un problème. Cela me fait penser aux administrateurs de jardins zoologiques qui qualifient d’« excédentaires » les animaux ne faisant pas partie de leur programme de reproduction en captivité et qui les tuent parce que ceux-ci ne sont d’aucune utilité pour leur jardin zoologique. Par exemple, au début de 2014, le zoo de Copenhague a tué une jeune girafe mâle en santé appelée Marius parce qu’elle ne pouvait pas servir de machine à reproduction, puis quatre lions, dont deux lionceaux, ont été tués par le même zoo afin qu’un nouveau mâle puisse rejoindre les femelles restantes. Assurer la reproduction d’animaux parce qu’on veut « sauver » l’espèce pour ensuite les tuer lorsqu’ils deviennent un fardeau est complètement contraire à la logique et à la morale.

M. Bekoff cite également Richard Foster, rédacteur en chef du Daily Kumquat :

Le fait que nous fermions les yeux sur la souffrance des animaux est probablement le meilleur exemple de dissonance cognitive au monde.

Cependant, chers collègues, nous voyons des citoyens partout au Canada rejeter dans une large mesure la notion de captivité des animaux. Des sondages et des études en grand nombre montrent cette tendance dans les croyances. Il nous incombe maintenant d’adopter une approche tout aussi éclairée. Chaque jour où nous laissons le projet de loi en suspens est un jour de plus où ces animaux doués de sensibilité continuent de souffrir en captivité.

Je ne saurais trop insister sur la gravité de la question dont nous sommes saisis. Il faut mettre un terme immédiatement à la souffrance que nous laissons infliger à des animaux aussi intelligents et conscients.

Personnellement, je sais l’héritage que j’aimerais laisser à mes enfants, à mes petits-enfants et aux générations à venir. C’est de diriger avec amour, de prôner la compassion et d’accorder de la valeur à toutes les formes de vie. Je vous demande de faire de même.

Je remercie mes collègues de l’attention qu’ils portent à cette question. J’invite tous les sénateurs qui ont l’intention de prendre la parole au sujet de ce projet de loi important à ne pas tarder à le faire afin qu’un vote puisse avoir lieu rapidement pour le renvoyer au comité.

Honorables sénateurs, voyons ces animaux pour ce qu’ils sont : l’ensemble de nos relations. Merci. Kinanâskomitin.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice McCallum : Oui.

Son Honneur le Président : Sénateur Plett, il ne reste qu’une minute à la sénatrice McCallum. Sénatrice McCallum, voulez-vous demander cinq minutes de plus pour répondre à une question?

La sénatrice McCallum : Oui, s’il vous plaît.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Plett : Merci. Je m’excuse d’avoir enfreint ma propre règle en vous faisant demander cinq minutes supplémentaires, mais je ne savais pas que la fin de votre temps de parole était si proche.

Juste une ou deux questions, sénatrice McCallum. Premièrement, quelle est votre définition des sénateurs qui restent les bras croisés? La raison pour laquelle je pose cette question — je m’explique —, c’est parce que je suis porte-parole pour ce projet de loi. Lorsque les gens laissent entendre que nous restons les bras croisés, le week-end dernier — je n’ai pas noté le nombre exact de kilomètres —, j’ai probablement parcouru environ 1 000 kilomètres. J’ai visité quatre habitats fauniques différents, si vous voulez. Ce ne sont pas des enclos ni des zoos. Il s’agit du Parc Safari, du Zoo de Granby, du Zoo Ecomuseum, à Montréal, et du Parc Oméga, à Montebello. Le Parc Oméga s’étend sur plus de 2 000 acres; on peut donc difficilement le qualifier d’enclos. Les animaux qui s’y trouvent sont tous sauvages. Ils ont de grands espaces. Il y a trois meutes de loups. Les loups étaient importants pour vous, sénatrice McCallum. Ce projet de loi entraînerait la disparition de ces loups. Les loups ont presque disparu. Vous avez parlé du buffle ou du bison. Bien entendu, nous sommes du Manitoba. Il y a des bisons là-bas — il y en avait beaucoup en tout cas —, mais ils ont presque disparu.

(1730)

Que faisons-nous, sénatrice McCallum, lorsque ces animaux sont en voie d’extinction? Les retirer de ces installations — certaines ont plus de 2 000 acres pour que ces animaux puissent se promener librement, alors je ne pense pas qu’on puisse parler d’enclos.

Je sais que ce n’était pas votre intention délibérée, mais quelques autres sénateurs ont dit qu’ils aimeraient que les gens abordent la question. J’ai l’intention d’en parler, mais je tiens à assurer à l’ensemble des sénateurs que je n’ai aucune intention de le faire avant de l’avoir étudiée avec toute la diligence raisonnable que, bien franchement, le parrain du projet de loi nous doit. J’en viens à la question. De ce que j’entends, il a visité deux des endroits que j’ai visités. J’en ai visité 10. Est-ce rester les bras croisés, sénatrice McCallum? Que proposeriez-vous que l’on fasse lorsque les animaux sont en voie de disparition si l’on dit qu’ils ne peuvent plus rester en captivité? D’ailleurs, les gardiens disent qu’ils n’aiment pas appeler cela la captivité parce que ce n’est pas vraiment la captivité; ils sont sous supervision humaine.

La sénatrice McCallum : Je vous remercie de vos questions. Quand j’ai dit que des sénateurs restent les bras croisés, je faisais référence aux sénateurs qui veulent prendre la parole pour s’exprimer sur cet enjeu et à qui l’on devrait demander le plus tôt possible — parce que c’est un enjeu si crucial — s’ils veulent se lever. Voilà ce que je voulais dire par rester les bras croisés.

Pour moi, 2 000 acres pour se promener, c’est quand même de la captivité, surtout si l’on compare cette superficie au territoire sur lequel les loups se promènent dans le Nord. Là-bas, ils ont accès à des milliers d’acres et ils peuvent se promener à l’échelle de la province. Pour moi, ces 2 000 acres ne suffisent pas.

Vous m’avez demandé ce qu’il adviendra si cette espèce venait à disparaître. Voilà pourquoi il faut que le comité se penche sur cet enjeu — c’est ce que je souhaite —, afin de pouvoir trouver des réponses à toutes les questions. Je collabore avec l’une des Premières Nations pour examiner la situation d’une espèce d’esturgeon, qui est à risque d’extinction dans son habitat naturel en raison de l’extraction des ressources naturelles. Cela me préoccupe beaucoup, et je me demande si la situation ouvrira la voie au manque de respect envers d’autres espèces parce que des scientifiques peuvent en concevoir de nouvelles. Prenons l’exemple du saumon. Cette espèce ne se reproduit même plus là où elle devrait le faire. Je m’inquiète que de nombreuses espèces risquent de subir le même sort parce que la société pense qu’elles sont remplaçables.

(Sur la motion du sénateur Patterson, le débat est ajourné.)

La Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social
La Loi sur l’assurance-emploi

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

À l’appel des autres affaires, projets de loi d’intérêt public du Sénat, deuxième lecture, article no 22, par l’honorable Yonah Martin :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Bellemare, appuyée par l’honorable sénateur Dalphond, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-244, Loi modifiant la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social et la Loi sur l’assurance-emploi (Conseil de l’assurance-emploi).

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur la stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale

Deuxième lecture—Débat

L’honorable Fabian Manning propose que le projet de loi S-249, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je me réjouis d’avoir l’occasion de dire quelques mots au début de la deuxième lecture du projet de loi S-249, loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale.

Pour les sénateurs qui l’ignoreraient peut-être, il s’agit de ma deuxième tentative — bien qu’avec quelques ajustements mineurs — pour enchâsser cette mesure législative dans la loi du pays. J’ai d’abord présenté un projet de loi similaire au Sénat le 24 avril 2018. Oui, j’ai bien dit 2018. J’espère donc que le Sénat accordera son appui à cette version du projet de loi et que le projet de loi S-249 franchira la ligne d’arrivée dans un délai raisonnable.

Cela dit, j’aimerais encore une fois commencer mon intervention aujourd’hui par une citation de Kofi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations unies :

La violence à l’égard des femmes est sans doute la violation des droits de l’homme la plus honteuse et peut-être la plus répandue. Elle ne connaît pas de clivages géographiques, culturels ou sociaux. Tant que des actes violents continueront d’être perpétrés, nous ne pourrons prétendre à des progrès pour atteindre l’égalité, le développement et la paix.

C’est avec des sentiments mitigés que je prends la parole devant vous aujourd’hui pour parler de ce projet de loi et vous demander de l’appuyer. Je vais employer mon temps de parole à vous exposer l’origine et l’objet de ce projet de loi, et, surtout, à vous expliquer certaines des raisons pour lesquelles je crois vraiment que cette stratégie nationale est plus nécessaire que jamais, plus nécessaire encore, honorables sénateurs, que lorsque j’ai présenté ce projet de loi pour la première fois en 2018.

D’un côté, je suis fier de parrainer cette mesure législative; de l’autre, je suis extrêmement triste et déçu de vivre encore dans un monde où une situation aussi grave continue de s’aggraver. Le secret qui entoure la violence conjugale a donné lieu à un simulacre de justice qui règne à cause de la peur, des préjugés et de l’absence d’une loi qui protège les personnes vulnérables de la société. Il est temps pour nous tous de briser ce secret et de trouver des solutions qui offriront à bon nombre de nos concitoyens un choix qu’ils n’ont pas aujourd’hui. Il y a bien longtemps que nous aurions dû lutter sérieusement contre ce problème. Le fait que nous vivions dans le meilleur pays du monde n’empêche pas des gens de vivre dans la peur. Nombre de nos concitoyens continuent d’être maltraités physiquement, mentalement, émotionnellement, sexuellement, financièrement et de bien d’autres façons. Il reste beaucoup à faire pour régler les problèmes de violence familiale. J’espère que ce projet de loi constituera une assise solide pour y parvenir.

Mon travail à propos de ce projet de loi a commencé par un appel téléphonique que j’ai reçu au début de 2017 d’une femme qui avait trouvé le courage d’essayer de changer les choses et qui est devenue une très ardente défenseure de cette cause. Par ses efforts, elle a donné une voix à toutes ces femmes maltraitées qui ont été — ou qui sont toujours — incapables de parler pour elles-mêmes.

Elle m’a autorisé à faire le récit de sa vie, ce qui vous permettra, je l’espère, de comprendre l’origine de ce projet de loi ainsi que les raisons pour lesquelles je trouve si important de conjuguer nos forces afin de donner une voix à celles qui ont été battues et maltraitées et de leur offrir un endroit vers où se tourner en cas de besoin.

C’est l’histoire d’une femme courageuse du nom de Georgina McGrath, originaire de la petite ville de Branch, dans la baie de St. Mary’s, à Terre-Neuve. Si elle peut jouir aujourd’hui d’une paisible solitude, cela n’a pas été toujours le cas.

Mme McGrath a grandi à Labrador City et, aujourd’hui, à l’âge de 53 ans, elle peut affirmer qu’elle a survécu à la violence familiale et aussi à une tentative de suicide. Elle a raconté son histoire dans l’espoir d’aider d’autres femmes victimes de violences physiques et de la violence verbale qui, souvent, les accompagne.

(1740)

Georgina est une fille, une sœur, une nièce, une tante, une belle‑mère et une amie. Toutefois, elle est avant tout la mère de deux formidables enfants adultes : son fils Nathan, 33 ans, et sa fille Kelty, 32 ans. De plus, elle est maintenant la très heureuse et fière grand-mère de Thomas, un garçon de 3 ans. Georgina est la première à dire qu’elle sera toujours une victime de violence entre partenaires intimes, mais elle est aussi fière de préciser qu’elle ne permettra jamais qu’on définisse qui elle est vraiment en fonction de cette période de sa vie. J’ai discuté avec Georgina à maintes reprises. J’admire sa force, sa détermination, son enthousiasme et sa ferme volonté de débusquer les agresseurs afin qu’ils paient pour leurs crimes, ainsi que de faire du Canada un pays où les personnes maltraitées peuvent demander de l’aide à quelqu’un quand elles en ont besoin.

Georgina menait une vie dont la plupart des gens auraient rêvé. Elle a été propriétaire d’une entreprise à Labrador City pendant huit ans et elle était plus indépendante que la plupart des gens ne le seront jamais dans leur vie. Parfois, elle employait jusqu’à 30 personnes, et sa situation et son avenir financiers semblaient très prometteurs. Elle a remporté des prix nationaux et internationaux pour son travail et elle profitait de la vie en tant que membre productif de la société.

Tout a changé lorsqu’elle a rencontré l’homme qui allait devenir son premier agresseur. Au cours de la relation, elle a constamment été victime de violence physique et psychologique. Ultimement, l’homme lui a mis un fusil sur la tempe, et cela a été la goutte qui a fait déborder le vase.

Après cette relation, Georgina a reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique et de fibromyalgie. Elle a recollé les morceaux de sa vie et, avec l’aide de ses amis et de sa famille, elle a continué à bâtir son entreprise. Elle devait subvenir aux besoins de ses deux enfants, et les joies d’être mère lui ont donné l’énergie et la détermination nécessaires pour continuer.

Elle a rapidement créé des liens d’amitié avec un Irlandais qui s’était installé au Labrador. Il était poli, la traitait bien au début et semblait vraiment se soucier du bien-être de Georgina et de ses enfants. Leur amitié s’est transformée en relation amoureuse, et ils ont fini par devenir un couple. Elle se sentait à l’aise et heureuse de nouveau. Elle a oublié ses insécurités et était prête à passer le reste de sa vie avec cet homme. Elle voulait que la relation soit un succès parce qu’elle ne voulait pas accepter d’échec dans sa vie privée. Ils travaillaient, profitaient de la vie et s’amusaient — et Georgina estimait qu’elle avait pris la bonne décision, cette fois, et qu’elle était en voie de jouir d’une vie de bonheur et de sécurité.

Environ un an plus tard, en septembre 2013, Georgina et son conjoint sont allés en vacances à Las Vegas. Malheureusement, c’est là que cet homme est devenu son deuxième agresseur en la frappant pour la première fois. Toutefois, cette fois-là, elle a riposté. Le lendemain matin, il l’a regardée et lui a dit : « Sais-tu quelle est la meilleure chose chez toi, GMac? » C’est le surnom qu’il lui avait donné. « Tu es capable de te lever et d’oublier tout simplement ce qui s’est passé. » À ce moment précis de sa vie, c’est exactement ce qu’elle a fait, car elle était devenue une experte pour cacher ce qui lui arrivait.

Elle espérait que la situation s’améliorerait, mais malheureusement, ce ne fut pas le cas. Son agresseur a poursuivi son règne de terreur au cours des mois suivants en lui faisant un œil au beurre noir, en lui brisant une dent et en lui donnant un coup de tête si fort qu’elle en a eu une bosse sur le front. La violence physique de plus en plus brutale était toujours accompagnée d’un torrent de violence psychologique et mentale. Georgina croit fermement que tous les types de violence sont indissociables.

Le 9 août 2014, la nuit précédant le 45e anniversaire de Georgina, elle et son partenaire sont sortis avec des amis. Soudainement, il s’est mis à l’agresser verbalement. De retour à la maison plus tard en soirée, monsieur s’est rendu dans le garage, a bu une bière puis il a lancé la bouteille à la tête de Georgina. Dieu merci, la bouteille est passée à côté d’elle. Le lendemain, il lui a fait parvenir des fleurs avec une note pour exprimer son amour pour elle. La carte était signée « Ton humble serviteur ». Georgina m’a raconté qu’il était incroyablement habile pour la manipuler et faire croire au reste de la planète à quel point c’était un homme génial et charmant. À Terre-Neuve-et-Labrador, on surnomme les individus de ce type « les anges de la rue et démons de la maison ». Plus tard ce soir-là, il lui a dit que s’il avait réellement voulu l’atteindre à la tête avec la bouteille de bière, il aurait pu facilement le faire. Tout ce qu’il faisait avait comme seul objectif de maintenir une emprise totale sur elle.

Le 25 septembre 2014 a failli être le dernier jour de Georgina sur Terre. Cependant, pour une raison ou pour une autre, contre vents et marées, elle a survécu. La soirée a commencé par un film et un verre de vin, mais s’est rapidement transformée en une nuit d’horreur. Une dispute verbale a mené à un coup de poing, qui a rapidement dégénéré en une raclée quasi mortelle. Le conjoint de Georgina l’a poussée au sol, s’est jeté sur elle et s’est mis à l’étrangler. Alors qu’elle gisait sur le plancher, elle pouvait sentir la vie abandonner lentement son corps. Lorsqu’il a approché son visage du sien, elle a instinctivement profité de l’occasion et lui a mordu le nez. Il a immédiatement lâché prise et s’est précipité dans la salle de bain pour inspecter les dommages que Georgina lui avait infligés. Péniblement, elle a réussi à se relever et a couru s’enfermer dans la chambre à coucher. Or, aveuglé par la rage, il a défoncé la porte de son poing, a atteint la poignée et l’a déverrouillée. Il a de nouveau poussé Georgina au sol et s’est mis à lui frapper le côté de la tête à répétition. Elle a réussi à le pousser à l’écart, mais, comme il était plus fort qu’elle, il l’a immobilisée au sol une fois de plus et s’est mis à lui frapper l’autre côté de la tête.

Incapable de se défendre, Georgina restait étendue là, attendant le coup de poing fatal. C’est alors qu’il l’a retournée et a continué de la frapper. Il lui a dit qu’elle était grosse, laide et ridée et que personne ne voudrait jamais d’elle. Puis, il s’est levé, est descendu chercher un couteau et est allé à la salle de bain. Une fois de plus, Georgina a réussi à se relever et, réfléchissant à toute vitesse, elle a retenu la porte de tout son corps tandis qu’il poussait de l’autre côté. Enfin, pour une raison ou pour une autre, il a abandonné, Dieu merci, et a donné le couteau à Georgina.

Georgina est descendue et a appelé sa sœur alors qu’il lui criait des insultes et continuait de lui dire qu’elle était grosse, laide et ridée. Lorsqu’elle était au téléphone avec sa sœur, Georgina ne souhaitait qu’une chose, que la maltraitance cesse. Elle a donc tenté de se suicider avec des médicaments d’ordonnance. Elle a avalé six fois la dose prescrite. Sa sœur pouvait bien entendre le désespoir dans sa voix. Lorsque Georgina a raccroché le téléphone, elle s’est allongée sur le divan pour attendre la mort. Elle n’avait plus l’énergie de vivre. Heureusement, sa sœur a eu le courage d’appeler le 911.

La seule chose dont Georgina se souvient est qu’elle s’est réveillée à l’hôpital et a vu ses deux beaux enfants au pied du lit. L’auteur de la maltraitance est allé à l’hôpital et lui a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi il l’avait traitée ainsi. Il n’a rien dit par rapport aux nouvelles ecchymoses sur son visage et son corps qu’il lui avait infligées quelques heures plus tôt seulement. Il voulait simplement qu’elle revienne à la maison.

Lorsque les enfants de Georgina le questionnaient au sujet des événements, il disait que c’était de la légitime défense. La fille de Georgina, qui travaille pour les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille, lui a répondu que personne ne frappe l’autre à la tête pour se défendre. La seule marque qu’il avait était l’endroit où Georgina l’avait mordu sur le nez. Georgina avait subi un grave traumatisme crânien, une rupture des deux tympans, des dommages aux deux tempes, des lésions aux nerfs faciaux et des ecchymoses qui sont restées pendant sept semaines avant de finalement disparaître. Les traumatismes mentaux et émotionnels étaient incommensurables.

En cette soirée de septembre 2014, il n’y avait personne pour défendre Georgina. Dans notre pays, le signalement obligatoire de la violence entre partenaires intimes n’existe pratiquement pas. Personne n’a l’obligation légale d’informer les autorités compétentes — ni votre médecin, ni le personnel infirmier, ni les conseillers et ni même les employés des refuges pour femmes. La police n’a pas enquêté sur ce qui est arrivé à Georgina parce que l’affaire a été considérée comme une urgence médicale, et non comme un cas de violence entre partenaires intimes. Il n’y a pas eu enquête sur le fait que cet homme avait tenté de tuer Georgina avant qu’elle attente à ses jours.

Après avoir quitté l’hôpital, Georgina, qui vivait dans la peur d’être encore maltraitée, a finalement pris le contrôle de sa vie. Il n’a pas été facile pour elle de faire ce pas de géant qui allait changer sa vie à tout jamais. En fait, il a fallu plusieurs semaines à Georgina, de même que les encouragements de sa famille et de ses amis, pour trouver le courage de porter plainte à la police. Lorsqu’un mandat d’arrestation a été lancé, l’homme était dans un avion en direction de l’Irlande. Ce lâche a quitté le pays avant qu’on puisse le traîner en justice. Aujourd’hui, il y a un mandat d’arrestation pancanadien à son endroit, au cas où il remettrait les pieds sur le territoire canadien. Je doute fortement que cela se produise.

Pour quiconque n’a jamais subi le genre de violences que Georgina et bien d’autres, surtout des femmes, ont subies, il peut être facile de dire: « Pourquoi une personne dans sa situation ne le quitte tout simplement pas? » Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles une femme ne quitte pas son conjoint. Dans la plupart des cas, elles n’en ont pas les moyens ou elles n’ont nulle part où aller ou personne vers qui se tourner pour obtenir soutien et protection. Certaines femmes maltraitées croient que, pour une raison obscure, elles sont fautives. Elles sont amenées à croire qu’elles ont provoqué la violence et qu’elles ne pourront pas faire face aux préjugés envers les victimes de violence. Il y a toujours la peur que cela se reproduise, que la loi ne protège pas les innocents et que la prochaine fois pourrait être la dernière.

Judith Lewis Herman explique très bien la situation dans son ouvrage Trauma and Recovery: The Aftermath of Violence—From Domestic Abuse to Political Terror :

La sécurité de la personne qui se fait battre ne peut absolument pas se fonder sur une promesse de la personne qui la bat, aussi sincère soit-elle. Elle doit plutôt reposer sur la capacité qu’a la victime de se protéger. Tant que celle-ci n’a pas élaboré un plan d’urgence précis et approfondi et qu’elle n’a pas prouvé qu’elle a la capacité de le mettre en œuvre, elle court toujours le risque de se faire battre de nouveau.

(1750)

Honorables sénateurs, voilà ce que Georgina McGrath a subi et ce dont elle peut maintenant témoigner. La triste réalité, toutefois, c’est que bien d’autres personnes n’ont pas eu la chance de s’en sortir. Georgina m’a souvent dit qu’elle ne peut pas changer ce qui lui est arrivé, mais tout le temps et toute l’énergie qu’elle a consacrés à cette cause ne seront pas perdus s’ils permettent d’aider une autre victime de violence. Elle est profondément convaincue que si elle a survécu, c’est pour nous amener à traiter la violence entre partenaires intimes autrement — à modifier les lois ou à en créer de nouvelles afin que les femmes, les enfants, les hommes et toutes les personnes qui sont maltraitées au Canada sachent qu’ils ont des recours quand le monde entier semble leur avoir tourné le dos.

Depuis que j’ai entamé ce parcours législatif au Sénat, j’ai rencontré un grand nombre de victimes de violence entre partenaires intimes, des familles qui ont perdu un être cher à cause de la violence entre partenaires intimes, des services de police, des défenseurs de la justice pour les victimes, des représentants de groupes de femmes et de refuges et plusieurs dirigeants locaux dans ma province natale, Terre-Neuve-et-Labrador. J’ai également discuté avec des professionnels de la santé, notamment ceux qui travaillent au service des urgences, et ils m’ont fait part à maintes reprises des frustrations qu’ils ressentent du fait qu’ils sont limités par les lois sur la protection de la vie privée lorsqu’ils doivent soigner des victimes de ce qu’ils savent être de la violence entre partenaires intimes. J’ai organisé plusieurs tables rondes au cours desquelles j’ai donné l’occasion à ceux qui le souhaitaient de raconter leur histoire.

Au fil de ces rencontres, j’ai découvert une bien triste réalité. Beaucoup de femmes à qui j’ai parlé ont insisté pour que la conversation ait lieu en privé, et après avoir entendu leurs histoires, je comprends parfaitement pourquoi. J’ai été témoin de la peur qui se reflétait dans leurs yeux, alors qu’elles continuaient à regarder par-dessus leur épaule en me parlant à voix basse. J’ai respecté leur demande de confidentialité chaque fois que cela était possible, et je souhaite profiter de cette occasion pour remercier chacune de ces femmes de m’avoir fait confiance en me racontant sa vie. Cette expérience a été incroyable et m’a vraiment ouvert les yeux sur la souffrance et la solitude que tant de femmes ont dû endurer. Cela m’a donné la détermination nécessaire pour faire adopter ce projet de loi afin que nous puissions commencer à trouver des moyens de lutter contre ce fléau de notre société.

Honorables sénateurs, je ne prétends aucunement avoir toutes les réponses pour savoir comment remédier à cette triste réalité qui nous entoure, mais je crois sincèrement qu’en unissant nos efforts, nous pouvons améliorer la situation. Chers collègues, il n’y a pas d’autre choix.

Lorsque la pandémie de COVID-19 s’est déclarée, mes projets de déplacements pour rencontrer d’autres personnes et organismes préoccupés un peu partout au Canada ont déraillé. Je suis impatient m’y remettre dès que mon horaire me le permettra. Grâce aux discussions que je tiens à ce sujet depuis plusieurs années, je suis beaucoup plus conscient de ce qui se passe au pays et beaucoup plus alarmé par le traitement réservé aux victimes de violence contre un partenaire intime et à leur famille. Je crois fermement que bon nombre de nos concitoyens ne sont pas au courant des statistiques accablantes concernant ce fléau au pays. Permettez-moi de citer quelques-unes de ces statistiques, tout en vous assurant que beaucoup d’autres renseignements sont disponibles. D’ailleurs, j’encourage mes collègues et tous les Canadiens à prendre connaissance des données facilement accessibles.

Dans ce pays libre et démocratique qui est le nôtre, chaque soir, 4 600 femmes et leurs 3 600 enfants doivent dormir dans un refuge d’urgence parce qu’ils fuient la violence. Chaque jour, 379 femmes et 215 enfants se voient refuser l’accès à un refuge, généralement parce qu’il ne reste aucune place de disponible.

La violence entre partenaires intimes est considérée comme un important problème de santé publique au Canada. En 2021, les policiers canadiens ont rapporté que 114 132 personnes avaient été des victimes de leur partenaire intime. Cela signifie 344 victimes par 100 000 habitants. Il s’agissait de la septième augmentation annuelle consécutive de ce type de violence pour laquelle 79 % des victimes, soit près de 8 victimes sur 10, étaient des femmes et des filles. En 2021 en particulier, il y a eu une forte augmentation du taux d’agressions sexuelles de niveau 1, c’est-à-dire des agressions où il y a violation de l’intégrité sexuelle de la victime. En 2021, il y a eu une augmentation de 22 % par rapport à 2020. Les agressions sexuelles de niveau 2 par des partenaires intimes, qui sont commises avec une arme ou qui ont causé des lésions corporelles, ont également augmenté de 6 % comparativement à 2020. Les cas rapportés de violence entre partenaires intimes concernent le plus souvent le partenaire actuel de la victime, soit dans 36 % des cas. Ils concernent son conjoint dans 29 % des cas, un ex-partenaire dans 21 % des cas ou un ex-conjoint dans 12 % des cas. De toutes les victimes de violence entre partenaires intimes, 79 % étaient des femmes.

En 2021, 90 victimes d’homicide au Canada ont été tuées par un partenaire intime. Les trois quarts de ces victimes, soit 76 %, étaient des femmes ou des filles. Le nombre de victimes d’homicide conjugal en 2021 a été plus élevé qu’en 2020, année où l’on a dénombré 84 victimes, et plus élevé qu’en 2019, où il y a eu 77 victimes.

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, en 2020, une plus grande attention a été portée à la question de la violence familiale et de la violence entre partenaires intimes. Étant donné que beaucoup de gens devaient passer plus de temps à la maison avec des membres du ménage et qu’ils vivaient, travaillaient et étudiaient souvent dans l’isolement pendant cette période incertaine et stressante, la sécurité des personnes exposées à de la violence familiale était préoccupante et, dans bien des cas, elle l’est demeurée. Cette question retient grandement l’attention depuis longtemps dans l’univers des services aux victimes, par exemple, dans les refuges pour victimes de mauvais traitements. Selon certains rapports récents, les cas de violence entre partenaires intimes ont grimpé en flèche dans l’ensemble du pays pendant l’arrêt des activités causé par la pandémie de COVID-19. On compile toujours les statistiques pour cette période en provenance de nombreuses sources. J’ai hâte de recevoir bientôt ces informations qui, je le crois, m’aideront à faire en sorte que le projet de loi S-249 soit adopté.

Il a été prouvé à maintes reprises que les ordonnances de protection et les engagements de ne pas troubler l’ordre public ne suffisent pas à protéger les victimes contre une personne enragée et décidée à leur faire du mal. C’est, entre autres, l’une des principales raisons pour lesquelles de nombreux incidents de violence entre partenaires intimes ne sont jamais signalés à la police. Les statistiques nous disent que seulement environ 10 % des cas de violence entre partenaires intimes sont signalés. C’est très malheureux, et nous devons trouver un moyen de changer cela et de faire augmenter ce nombre.

Bien que l’agression physique constitue le principal type d’agression, les victimes subissent de mauvais traitements de tant d’autres manières, comme le harcèlement criminel, la violence sexuelle, la violence psychologique, la violence financière et spirituelle, la coercition liée à la reproduction et le contrôle coercitif. En outre, plus répandue que jamais, il y a aujourd’hui la violence facilitée par la technologie, également appelée cyberviolence.

Une femme que j’ai rencontrée plus tôt cet été a parfaitement résumé les dommages causés aux victimes de violence entre partenaires intimes :

Il y a beaucoup d’actes de violence que j’ai endurés qui n’ont jamais laissé de marque sur mon corps, mais qui m’ont bel et bien laissé des cicatrices que je ne pourrai jamais effacer.

À Terre-Neuve-et-Labrador, environ 50 % des femmes de plus de 16 ans sont victimes de violence sexuelle ou physique au moins une fois dans leur vie. Ce renseignement se trouve sur le site Web de la Western Regional Coalition to End Violence, un organisme établi à Corner Brook, à Terre-Neuve. On peut aussi lire ceci sur ce site Web :

Cette épidémie de violence fondée sur le sexe est nourrie par le discours oppressif empreint de domination patriarcale, d’autorité et de contrôle qui est omniprésent dans la société. Nos institutions sociales, économiques et politiques, nos idéologies et la culture du silence qui entoure la violence faite aux femmes et aux jeunes filles reflètent l’inégalité entre les sexes et la renforcent [...]

Nous savons que, pour venir à bout de la violence fondée sur le sexe, il est essentiel de mettre en valeur la voix des femmes que la marginalisation a réduites au silence. C’est en découvrant leur expérience de l’oppression et de la violence que nous pourrons voir et comprendre combien il est crucial de changer et d’améliorer les services offerts aux victimes de violence fondée sur le sexe, notamment les services juridiques et médicaux.

Honorables sénateurs, il y a trois statistiques très importantes que je tiens à répéter aujourd’hui et que je vous prierais de garder en mémoire. La première : au Canada, une femme sur quatre sera agressée au cours de sa vie. La deuxième : on estime que seulement 10 % des agressions sexuelles sont signalées à la police. La troisième : très tragiquement, la violence entre partenaires intimes entraîne des décès. En effet, environ tous les six jours, au Canada, une femme est tuée par son partenaire intime. Ces chiffres sont tirés de la réalité et sont absolument ahurissants. Nous devrions tous nous en préoccuper.

Les conclusions de l’Enquête sociale générale de 2019 sur la sécurité des Canadiens (victimisation) indiquent qu’approximativement 432 000 femmes et 279 000 hommes au Canada ont vécu un épisode de violence entre partenaires intimes dans les cinq années précédant l’enquête.

(1800)

En raison de la complexité des relations intimes, la violence conjugale est particulièrement susceptible de ne pas être signalée à la police. Par conséquent, la déclaration volontaire des expériences de violence constitue un important complément aux données signalées à la police.

La violence entre partenaires intimes a tendance à se produire de façon répétée pour certaines victimes. Environ 3 femmes sur 10 qui sont victimes de violence entre partenaires intimes déclarent avoir subi au moins un type de violence...

Son Honneur le Président : Je suis désolé, sénateur Manning. Comme il est 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligé de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, à moins que nous consentions à ne pas tenir compte de l’heure.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de faire abstraction de l’heure?

Le sénateur Plett : Non.

Son Honneur le Président : J’ai entendu un « non ». La séance est suspendue jusqu’à 20 heures.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(2000)

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Manning, appuyée par l’honorable sénatrice Batters, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-249, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale.

L’honorable Fabian Manning : Honorables sénateurs, la violence entre partenaires intimes a tendance à se produire de façon répétée pour certaines victimes. Environ 3 femmes sur 10 ont déclaré qu’au moins une forme de violence entre partenaires intimes — physique, sexuelle ou psychologique — s’était produite à plusieurs reprises, soit au moins une fois par mois au cours des 12 mois précédents.

Dans l’ensemble, une femme sur cinq, ou 20 % d’entre elles, qui a été victime de violence sexuelle commise par un partenaire intime au cours des 12 mois précédents a indiqué que cela s’était produit une fois par mois, ou plus souvent encore, durant les 12 mois précédents. La fréquence à laquelle les femmes étaient victimes de ce genre de violence commise par un partenaire intime est notable, car cette forme de violence est souvent considérée comme étant la plus grave.

Les membres de certains groupes de population sont plus susceptibles d’être victimes de violence de la part d’un partenaire intime. Outre le genre, d’autres caractéristiques individuelles et socioéconomiques se recoupent pour influer sur la probabilité d’être victime de violence de la part d’un partenaire intime.

Selon l’Enquête sur la sécurité dans les espaces publics et privés, la prévalence de la violence entre partenaires intimes au cours des 12 mois précédents et au cours de la vie était beaucoup plus élevée chez les femmes autochtones, les personnes LGBTQ2S+ et les femmes ayant une incapacité. Les groupes de personnes suivants étaient plus susceptibles que leurs homologues d’avoir été victimes de violence entre partenaires intimes au moins une fois au cours de leur vie : les femmes LGB+, à 67 %, les femmes autochtones, à 61 %, et les femmes ayant une incapacité, à 55 %. Il est noté que les femmes autochtones sont plus susceptibles d’être victimes de chaque forme de violence entre partenaires intimes, et ce, de nombreuses fois.

Le Labrador compte seulement 5 % de la population de ma province. En 2020, cela représentait approximativement 27 674 personnes, dont environ 43 % étaient d’origine autochtone. Les données les plus récentes des deux services de police de Terre‑Neuve-et-Labrador couvrent la période de 2016 à 2020. Elles montrent que le taux d’agressions sexuelles au Labrador durant cette période était de quatre à six fois plus élevé que celui de l’île.

Deirdre Connolly en avait suffisamment vu. En mars 2020, elle a ouvert le bureau du Labrador du centre de crise et de prévention des agressions sexuelles à Happy Valley-Goose Bay, où elle travaille avec des survivants. Elle dit que la quantité de ressources fournies est inacceptable dans une région où la violence sexuelle est si répandue.

En 2019, au Canada, environ 800 programmes d’aide aux victimes ont fourni des services à environ 500 000 victimes d’actes criminels. Parmi toutes les femmes qui ont reçu de l’aide, 84 % étaient victimes d’un crime violent, 30 % étaient des femmes ayant subi une agression sexuelle, et 61 % étaient victimes de crimes violents commis par un conjoint, un ex-conjoint, un partenaire intime ou un autre membre de la famille.

Le recensement des crimes déclarés à la police pour la période de 2019 à 2021, qui a été fourni par Statistique Canada, montre qu’environ 52 % des victimes des crimes déclarés étaient des femmes. L’infraction la plus commune commise contre les femmes a été les voies de fait simples, qui représentent environ 48 % de toutes les infractions violentes déclarées à la police.

Selon un récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé :

La violence entre partenaires intimes est considérée comme un important problème de santé publique à l’échelle mondiale qui est lié à la violence intergénérationnelle et qui entraîne des conséquences physiques, émotionnelles et économiques préjudiciables pour les victimes, les témoins et la société dans son ensemble.

Plus de 7 cas sur 10, ou 71 % des cas de violence entre partenaires intimes signalés à la police, comportaient de la violence physique. L’agression physique est présente dans 77 % des cas et constitue l’infraction la plus courante parmi les cas de violence entre partenaires intimes, suivie par la profération de menaces, à 8 %, et le harcèlement criminel, à 6 %.

Les données fournies par la police montrent que les anciens et les présents conjoints, de même que les autres partenaires intimes, commettent environ 42 % des crimes violents dont les femmes sont victimes. Les autres membres de la famille et les connaissances commettent 43 % des crimes violents.

La violence familiale déclarée par la police est définie comme « Tous les types de crimes violents perpétrés par un membre de la famille qui ont été signalés à la police ».

Chers collègues, aussi étrange que cela puisse paraître pour certains, les études montrent que 70 % des cas de violence conjugale ne sont pas signalés à la police. Beaucoup de victimes de violence conjugale ont subi des formes graves de violence. Plus précisément, 25 % d’entre elles ont été agressées sexuellement, battues, étranglées ou menacées avec une arme à feu ou un couteau, et 24 % ont reçu des coups de pied, ont été mordues ou frappées, avec ou sans objet.

Un site d’information de Statistique Canada daté de 2017, Femmes au Canada : rapport statistique fondé sur le sexe, présente les données suivantes :

Les personnes de sexe féminin étaient surreprésentées parmi les victimes d’agression sexuelle (88 % des affaires) et les victimes d’autres infractions sexuelles (83 % des affaires). Parmi les autres infractions signalées à la police qui ont surtout été commises contre des victimes de sexe féminin figurent la séquestration et les infractions connexes (79 %), le harcèlement criminel (76 %) et les appels téléphoniques menaçants ou harcelants (71 %). Toutes les victimes (100 %) d’infractions faisant partie de la catégorie de la « marchandisation des activités sexuelles » étaient des femmes.

Statistique rapportait également ceci :

Les taux de presque tous les types de victimisation avec violence étaient plus élevés pour les Autochtones [...] Plus précisément, le taux d’agressions sexuelles chez les Autochtones (58 incidents pour 1 000 personnes) était près de trois fois celui observé chez les non-Autochtones (20 pour 1 000), tandis que le taux de voies de fait chez les Autochtones (90 pour 1 000) était près du double de celui noté chez les non-Autochtones (47 pour 1 000).

De plus :

Chez les Autochtones de sexe féminin, le taux de victimisation avec violence [...] était 2,7 fois plus élevé que celui observé chez les non-Autochtones de sexe féminin [...]

Et personne n’aura oublié que 1 181 femmes autochtones ont été portées disparues ou assassinées de 1980 à 2012.

La moitié des Autochtones victimes de violence familiale ont rapporté avoir subi les pires formes de violence familiale — elles rapportent avoir été agressées sexuellement, battues, étranglées ou menacées avec un couteau ou une arme à feu. Parmi les victimes non autochtones de violence familiale, cette proportion est plutôt du quart, soit de 23 % plus exactement.

Je m’en voudrais de ne pas profiter de l’occasion pour parler de la campagne Moose Hide et en faire la promotion. Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas cette campagne, elle a été imaginée en 2011 par ses cofondateurs, Paul Lacerte et sa fille Raven, pendant une chasse à l’orignal sur leur territoire traditionnel le long de la route des pleurs, en Colombie-Britannique, où tant de femmes ont disparu ou ont été assassinées.

La campagne Moose Hide est un mouvement populaire formé d’hommes autochtones et non autochtones qui luttent contre la violence faite aux femmes et aux enfants. L’épinglette Moose Hide, comme celle que je porte aujourd’hui, représente l’engagement à honorer, à respecter et à protéger les femmes et les enfants qui nous entourent et à dénoncer la violence conjugale et la violence entre partenaires intimes.

Depuis le début de cette campagne, plus de 1 million d’épinglettes Moose Hide ont été distribuées partout au pays, ce qui a suscité autant de discussions visant à mettre fin à la violence contre nos femmes et nos enfants. Je vous invite tous à appuyer cette campagne et à adopter une position ferme contre la violence.

Autre statistique troublante, 60 % des femmes ayant un handicap subissent de la violence sous une forme ou une autre. Comme seulement environ 10 % des agressions sont signalées, le nombre réel est beaucoup plus élevé.

Près des deux tiers des victimes de violence conjugale, soit 63 %, ont indiqué avoir été victimes de plus d’un acte de violence avant de communiquer avec la police. Près de trois personnes sur 10, soit 28 %, ont déclaré avoir été maltraitées plus de 10 fois avant de s’adresser à la police.

On estime à 7,4 milliards de dollars par année le coût total de la violence entre partenaires intimes au Canada, ce qui revient à 220 $ par habitant. Ce sont les premières victimes qui assument la majeure partie de ce fardeau économique. Les victimes de violence conjugale assument directement 6 milliards de dollars de ce total en soins médicaux, en frais d’hospitalisation, en pertes de salaire, en journées d’école manquées et en biens volés ou endommagés.

Le système judiciaire en assume 7,3 %, c’est-à-dire 545 millions de dollars. Là-dessus, le système de justice pénale en assume 320 millions et le système de justice civile, 225 millions.

(2010)

La violence familiale touche tous les Canadiens, mais il y a presque quatre fois plus de femmes que d’hommes qui signalent un cas de violence entre partenaires intimes à la police. De plus, les femmes sont trois fois plus susceptibles que les hommes d’être tuées par leur ancien conjoint ou leur conjoint actuel. Près de la moitié des femmes — c’est-à-dire 48 % — ont déclaré que la violence conjugale après la séparation les faisait craindre pour leur vie.

De nombreux documents — études, rapports de coroner, enquêtes — concluent que le manque de coordination entre les spécialistes du droit de la famille, les services de protection de l’enfance et le système de justice criminelle constitue l’un des facteurs à l’origine des tragiques homicides commis par un membre de la famille.

S’il n’existe pas de mécanismes permettant la coordination des intervenants et la communication entre eux, les familles peuvent être aux prises avec des directives contradictoires ou incohérentes. Cette situation peut alors compromettre la sécurité des membres de la famille, y compris les plus vulnérables d’entre eux, les enfants. Tout cela pourrait finir par ébranler la confiance du public dans l’administration de la justice.

Bien qu’il n’existe aucune définition unanimement acceptée de la violence familiale, l’Initiative fédérale de lutte contre la violence familiale la décrit comme suit :

[…] une gamme étendue de comportements violents qui se produisent au sein d’une relation fondée sur le lien de parenté, l’intimité, la dépendance ou la confiance.

Ces comportements violents comprennent la violence physique, sexuelle et verbale, les mauvais traitements psychologiques, l’exploitation financière et la négligence.

Lorsque je me suis mis en communication avec la Bibliothèque du Parlement pour élaborer ce projet de loi, mon objectif était de rédiger une loi qui s’attaquerait à la violence familiale au Canada. Je me suis rapidement rendu compte que ce n’était pas si facile. À l’heure actuelle, il n’y a aucune loi fédérale ou provinciale qui oblige les médecins à signaler des cas de violence familiale à des tiers. Il faut aussi tenir compte des compétences nationales, provinciales et territoriales. En effet, la prestation des soins de santé relève de la compétence des provinces ou des territoires.

Bien que certaines provinces aient des codes de conduite pour les médecins et d’autres professionnels de la santé, et que la plupart des provinces obligent les médecins à signaler des cas de violence quand des enfants sont en cause, aucune province n’oblige le signalement de cas de violence entre partenaires intimes.

Si une femme qui a été blessée par balle ou poignardée se rend à l’hôpital ce soir, à n’importe quel endroit du pays, cet établissement sera tenu d’appeler la police. Les hôpitaux et les établissements de soins de santé de certaines provinces doivent signaler les blessures par balle à la police. C’est actuellement le cas en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, en Ontario, au Québec, en Nouvelle-Écosse, à Terre-Neuve-et-Labrador et dans les Territoires du Nord-Ouest. Même si la Colombie-Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, Terre-Neuve-et-Labrador et les Territoires du Nord-Ouest sont également tenus de signaler les blessures à l’arme blanche, les mesures législatives dans toutes les provinces sont similaires. C’est habituellement l’institution ou l’établissement qui a cette obligation, et non le médecin. Dans quelques provinces ou territoires, cette obligation de déclaration pourrait aussi s’appliquer aux cabinets médicaux privés des médecins et aux cliniques sans rendez-vous.

Toutefois, honorables sénateurs, si cette même femme se présente ce soir à l’hôpital avec deux yeux au beurre noir, le nez cassé, les deux dents d’en avant manquantes et des marques d’étouffement ou d’étranglement à cause de la violence physique de son conjoint, personne n’est tenu de le signaler à la police.

Depuis que je travaille à ce projet de loi, j’ai appris que la vie privée de la victime et sa crainte de ce qui peut arriver si un rapport de police est fait sont des facteurs importants qui doivent être discutés en profondeur. Je reconnais que ce ne sont pas des conversations faciles, mais afin de trouver des solutions possibles à ce problème croissant de violence entre partenaires intimes dans notre pays, nous devons commencer à explorer des pistes pour trouver un moyen d’aider ceux qui ont si désespérément besoin de notre aide.

Ne perdons pas espoir. Je travaille en politique depuis maintenant 30 ans, et je suis parfaitement conscient que tout changement commence par un petit pas. C’est comme cela que je vais amorcer ce changement, avec l’appui de gens comme Georgina McGrath et le projet de loi S-249. J’espère pouvoir compter sur votre appui.

Le projet de loi S-249 demande au gouvernement fédéral de prévoir l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence familiale à la suite de consultations avec des ministres fédéraux et des représentants des gouvernements provinciaux et territoriaux responsables du développement social, de la famille ou de la sécurité publique ainsi que d’autres intervenants concernés.

Nous devons commencer quelque part, et je crois sincèrement que le projet de loi S-249 est un premier pas important dans la bonne direction. Nous avons besoin de cohérence entre les différents gouvernements et au sein de chacun d’entre eux en ce qui concerne les politiques et les lois en matière de prévention de la violence contre les femmes. Nous devons avoir une compréhension commune des causes profondes de la violence contre les femmes. Nous avons besoin d’un haut niveau d’engagement, de leadership et de transparence de la part de tous les ordres de gouvernement. Nous avons besoin d’objectifs clairement définis, assortis d’un échéancier, dont nous pouvons mesurer les résultats en fonction de données de référence détaillées. Nous avons également besoin de ressources humaines et financières pour favoriser ces processus. Nous avons besoin de nouveaux engagements et d’objectifs clairs. Il faut mettre en place des normes nationales qui assurent un accès équitable à toutes les femmes et qui respectent la diversité et en tiennent compte. Nous devons consulter tous les intervenants, y compris les travailleurs de première ligne et les survivants.

La violence continue et non maîtrisée entre partenaires intimes peut s’intensifier et avoir des conséquences dévastatrices. Les habitants de ma province natale, Terre-Neuve-et-Labrador, ne connaissent que trop bien l’histoire tragique d’une charmante petite fille du nom de Quinn Butt. Les parents de Quinn étaient séparés au moment de sa mort.

En 2019, Trent Butt a été reconnu coupable de meurtre au premier degré et d’incendie criminel après que le corps de sa fille de 5 ans, Quinn, a été retrouvé dans leur maison incendiée à Carbonear le 24 avril 2016.

Il y a également l’histoire incroyablement triste de Chrissy Predham-Newman, qui a été retrouvée assassinée dans son appartement à St. John’s en janvier 2007. On lui avait tranché la gorge et on l’avait poignardée 53 fois.

À l’issue d’une longue enquête, son ex-mari, Ray Newman, a été inculpé deux ans plus tard de son meurtre. Cependant, trois ans plus tard, un juge a conclu qu’on avait violé les droits de M. Newman lors d’un interrogatoire de police, et l’accusé a donc été déclaré non coupable. Plus tard en 2018, Ray Newman s’est de nouveau retrouvé au tribunal et cette fois, il a été reconnu coupable d’avoir agressé sa petite amie, qui a témoigné que M. Newman l’avait frappée, étranglée et traînée. Il a été condamné à 60 jours de prison.

Personne n’a jamais été traduit en justice pour la mort horrible de Chrissy Predham-Newman.

Dans ma province, il y a aussi le mystère non résolu de la disparition de Courtney Lake, qui a été vue pour la dernière fois le 7 juin 2017. Elle a vécu une relation toxique avec un homme dénommé Philip Smith, qui a été accusé de l’avoir agressée le 15 avril de la même année. Malgré l’engagement de ne pas troubler la paix obtenu par Courtney, Philip Smith a continué d’essayer de la contacter.

Le 7 juin 2017, M. Smith a comparu devant la cour, où il a admis avoir commis l’agression contre Courtney, pour laquelle il a reçu une condamnation avec sursis. Ayant été reconnu coupable d’une longue liste d’infractions supplémentaires ce jour-là, il a été condamné à une peine de deux jours déjà purgés. À sa sortie du palais de justice, M. Smith a reçu une ordonnance de probation l’obligeant à se tenir loin de Courtney et de sa mère.

Courtney a été vue pour la dernière fois quatre heures après que Philip Smith a quitté le palais de justice le 7 juin. Le 30 juin 2017, la Force constabulaire royale de Terre-Neuve a annoncé que la disparition de Courtney était traitée comme un homicide et que l’affaire avait été renvoyée à l’équipe des crimes majeurs. De nombreuses recherches menées par les services de police, par les unités de recherche et de sauvetage et par les proches et les amis n’ont pas permis de retrouver Courtney Lake.

Le 31 octobre 2017, M. Smith a communiqué avec sa famille pour lui dire qu’il allait se suicider. Inquiète, la famille a téléphoné à la police. Le 1er novembre 2017, à 3 heures, les policiers ont retrouvé le corps de Philip Smith près de Bellevue Beach, dans notre province. Tant de questions restent sans réponse pour les familles.

Selon le droit international, tous les pays ont l’obligation de lutter contre la violence envers les femmes. À l’heure actuelle, le Canada n’a pas de plan national ni de stratégie à cet égard. Avec votre appui, le projet de loi S-249 peut être la mesure qui changera la façon dont nous luttons contre la violence conjugale au pays.

Si vous en sentez le besoin, je vous invite à faire des suggestions pour améliorer ce projet de loi. Le Canada doit se doter d’une stratégie nationale pour veiller à ce que toutes les femmes puissent vivre à l’abri de la violence. Nous devons cela à des femmes comme Georgina McGrath, ainsi qu’aux milliers d’autres qui ont vécu la souffrance liée à la violence physique, l’angoisse provoquée par la violence psychologique et le supplice que représentent la solitude et le désespoir.

À bien des égards, le Canada est un merveilleux pays. Nous avons beaucoup à offrir et nous faisons l’envie du monde entier. Unissons nos efforts pour appuyer ce projet de loi afin que toutes les personnes victimes, hier ou aujourd’hui, de violence conjugale puissent espérer un avenir meilleur et plus sûr.

(2020)

Honorables sénateurs, je termine mon discours d’aujourd’hui comme je l’ai commencé, en reprenant la citation de Kofi Annan :

La violence à l’égard des femmes est sans doute la violation des droits de l’homme la plus honteuse et peut-être la plus répandue. Elle ne connaît pas de clivages géographiques, culturels ou sociaux. Tant que des actes violents continueront d’être perpétrés, nous ne pourrons prétendre à des progrès pour atteindre l’égalité, le développement et la paix.

Je vous remercie de votre attention.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Sénateur Manning, une sénatrice aimerait vous poser une question, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus pour répondre à des questions?

Le sénateur Manning : Oui, Votre Honneur.

Des voix : D’accord.

L’honorable Patti LaBoucane-Benson : Merci beaucoup, sénateur Manning, de ce discours important. J’ai hâte d’en savoir plus et de voir ce qui se passera au comité.

Je me demande si vous avez eu l’occasion d’examiner les rapports du Comité d’examen des décès dus à la violence familiale, en Alberta, et les nombreuses recommandations qui ont été formulées après l’étude de nombreux cas tragiques survenus en Alberta. On a cherché des tendances et fait des recommandations pour la prévention de la violence familiale et des décès en particulier. Je me demande si vous avez eu l’occasion d’en prendre connaissance.

Le sénateur Manning : Merci madame la sénatrice. Je suis désolé, je n’ai pas eu l’occasion de consulter ces rapports. J’ai été enseveli sous des statistiques provenant de toutes parts et j’ai essayé de trouver une place pour chacune d’elles dans mon discours de 35 minutes.

J’ai cependant discuté avec des gens de l’Alberta — dans bien des cas, il s’agissait de personnes de Terre-Neuve-et-Labrador qui habitent aujourd’hui en Alberta — et il est clair pour moi que la violence entre partenaires intimes est un problème bien réel en Alberta et dans toutes les autres provinces.

Chose certaine, j’espère que les groupes comme celui dont vous avez parlé viendront présenter des informations au comité. J’espère également que nous n’entendrons pas seulement parler des préoccupations et des problèmes actuels, parce que je veux aussi entendre parler des solutions potentielles. Grâce aux efforts de ces groupes, j’espère que nous pourrons présenter ces informations au comité et que certaines de leurs suggestions et recommandations feront leur chemin jusque dans le rapport du comité.

[Français]

L’honorable Renée Dupuis : Merci, sénateur Manning, de ce discours important, et merci surtout de prêter votre voix aux femmes qui ont subi de la violence, qui ont trouvé l’énergie et le courage de survivre à cette violence et d’aider d’autres femmes.

En ce qui concerne le projet de loi S-249, je vois dans la version anglaise qu’il y a une définition de l’expression intimate partner. Je pense que ce qui est indiqué est très important, puisque l’on cherche à inclure autant les partenaires actuels que les partenaires précédents. Cela ne suppose donc pas que l’on parle de partenaires qui sont dans une relation actuelle. Cette définition existe seulement dans la version anglaise du projet de loi. Pourriez-vous m’expliquer pourquoi? C’est ce qui figure sur le site Web LEGISinfo du Sénat. Pourquoi ne pas reprendre cette définition dans la version française du projet de loi?

[Traduction]

Le sénateur Manning : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. En ce qui concerne la version française, je dois m’excuser; il faudra que je fasse appel à une tierce partie pour les explications.

Les inquiétudes dont on m’a fait part au cours des dernières années au sujet des anciens époux ou partenaires ont été aussi nombreuses que celles au sujet des époux ou partenaires actuels. Les discussions doivent évidemment en tenir compte. On m’a enlevé le lutrin, avec mon discours.

J’ai entendu tant de témoignages de personnes qui sont en couple, mais qui s’inquiètent de quelqu’un qui pourrait retontir dans leur vie, pour toutes sortes de raisons, malgré un engagement de ne pas troubler l’ordre public.

Il n’y a aucun doute dans mon esprit que ces aspects devront être intégrés dans les discussions. Il faut regarder la situation dans son ensemble, y compris les anciens époux ou partenaires, de même que ceux du présent qui causent des problèmes.

L’honorable Marilou McPhedran : Puis-je poser une question?

Son Honneur le Président : Le temps de parole du sénateur Manning est encore une fois écoulé.

Sénateur Manning, demandez-vous plus de temps?

Le sénateur Manning : Oui.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

La sénatrice McPhedran : Honorables sénateurs, ma question est liée à la publication en 2021 de la Feuille de route pour le Plan d’action national sur la violence faite aux femmes et la violence fondée sur le genre.

Sénateur Manning, je me demandais simplement si vous pouviez nous aider à comprendre les points très importants dont vous nous avez parlé ce soir, et je veux aussi reconnaître les années de travail que vous avez consacrées à ce projet, le dévouement que vous y avez mis. Pouvez-vous nous donner une idée de la place de votre projet de loi dans cette feuille de route? Elle est décrite comme devant être un plan sur 10 ans. Comment votre projet de loi et la stratégie sur laquelle il se concentre s’articulent-ils dans ce plan d’action national?

Le sénateur Manning : Je vous remercie, sénatrice McPhedran. J’ai rencontré divers groupes et différentes personnes et j’ai parlé à une variété de professionnels de la santé, et je dirais qu’aucun plan ne semble exister. Bien que des études menées au Canada et dans différentes provinces aient donné lieu à des recommandations, il ne semble pas exister d’approche holistique concernant la façon de traiter la violence conjugale dans l’ensemble du pays. On me corrigera si je me trompe à propos de ce qui existe dans certaines régions précises. Nous vivons dans un grand pays.

J’espère que mon projet de loi pourra rassembler tous les acteurs autour de la table. S’il est adopté et entre en vigueur, le gouvernement disposera d’un certain temps pour élaborer une stratégie nationale en vue de régler certaines des préoccupations dont j’ai parlé aujourd’hui et d’autres que je n’ai pas eu la chance de mentionner. J’espère que, grâce à tous ces efforts, nous pourrons élaborer une stratégie qui s’attaquera aux problèmes qui existent actuellement partout au pays.

Comme je l’ai dit dans mon discours, les suggestions sont les bienvenues, qu’elles viennent de sénateurs ou encore de groupes, d’organisation ou de gens de partout au Canada. Je crois, plus que tout, que c’est seulement si on travaille ensemble et qu’on rassemble tous les acteurs autour de la table qu’on pourra trouver une façon de régler ce problème très grave dans notre pays.

(Sur la motion de la sénatrice Duncan, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur le cadre national sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Mohamed-Iqbal Ravalia propose que le projet de loi S-253, Loi concernant un cadre national sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui en tant que parrain du projet de loi S-253, Loi concernant un cadre national sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale.

C’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur, comme c’est le cas pour beaucoup de mes collègues ici présents. C’est un sujet que j’ai bien connu lorsque j’étais médecin de famille en milieu rural.

J’aimerais exprimer ma gratitude à la sénatrice Pat Duncan, qui s’implique depuis des décennies dans la communauté touchée par ces troubles au Yukon, et qui a partagé son expérience et son expertise sur cette question. Merci, Pat.

Je veux aussi remercier la sénatrice Anderson et le sénateur Christmas de m’avoir fait part de leurs sages conseils tandis que je travaillais sur le projet de loi.

Chers collègues, le projet de loi S-253 a été élaboré à la suite de consultations approfondies avec le Réseau canadien de recherche sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale — dont l’acronyme anglais est CanFASD — qui est un réseau de recherche collaborative et interdisciplinaire comptant des partenaires dans tout le pays.

Le réseau réunit un groupe diversifié de professionnels : des universitaires, des spécialistes de la santé des femmes, des intervenants du système de justice pénale, des pédiatres du développement, des psychologues, des psychiatres, des travailleurs sociaux et des conseillers autochtones.

Ces professionnels travaillent avec le personnel et le conseil d’administration du CanFASD, ou en font partie, ainsi qu’avec son comité consultatif des familles, qui ont une expérience vécue en tant que soignants de personnes atteintes de ces troubles à travers le Canada.

(2030)

J’aimerais d’abord donner un peu de contexte sur le sujet dont traite ce projet de loi. Les conséquences de l’exposition prénatale à l’alcool ont été décrites pour la première fois il y a plus de 40 ans. Le terme « syndrome d’alcoolisme fœtal », ou SAF, a d’abord été utilisé pour décrire le regroupement d’anomalies congénitales attribuable à l’exposition prénatale à l’alcool, dont la croissance limitée, les anomalies craniofaciales et les déficiences intellectuelles, toutes ayant des conséquences à vie.

Le terme « ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale », ou ETCAF, a depuis été adopté comme terme diagnostique pour décrire une gamme beaucoup plus élargie d’affections et de déficiences résultant de l’exposition à l’alcool avant la naissance. Les effets de l’alcool varient selon la quantité, le moment et la fréquence de la consommation et dépendent de plusieurs autres facteurs, comme la prédisposition génétique du fœtus et de la mère, l’état de santé général de la mère et d’autres éléments sociaux, économiques, physiques et environnementaux.

Les troubles peuvent se manifester par une grande variété de symptômes, mais les personnes qui en sont atteintes éprouvent souvent des difficultés qui touchent plusieurs sphères de leur vie, notamment les habiletés motrices, la santé physique, l’apprentissage, la mémoire, l’attention, l’impulsivité, la communication, la régulation des émotions et les habiletés sociales. Bien que chaque personne soit unique et possède ses propres forces et ses propres habiletés, composer avec ces difficultés peut poser tout un dilemme pour la personne atteinte d’un tel trouble et peut nécessiter un degré de soutien continu qui varie de la part de sa famille ou d’autres sources.

Il s’agit d’une question complexe qui comporte de multiples facettes et qui touche les Canadiens de tous les horizons et de toutes les régions du Canada. Pour mettre les choses en contexte, il s’agit du principal trouble neurodéveloppemental au pays et il touche 4 % de la population. Plus de Canadiens sont atteints de ce trouble que d’autisme, de paralysie cérébrale, de la trisomie 21 et du syndrome de la Tourette réunis.

Il y a toutefois deux distinctions essentielles en ce qui concerne ce trouble. Premièrement, il est beaucoup plus difficile à diagnostiquer que la plupart des autres troubles neurodéveloppementaux et, deuxièmement, il est évitable.

L’objectif fondamental de ce projet de loi est de promouvoir de meilleurs résultats en matière de prévention et de diagnostic, ainsi que d’améliorer le soutien aux personnes concernées et de veiller à ce qu’elles puissent vivre pleinement leur vie sans être stigmatisées.

Chers collègues, le problème que le projet de loi vise à résoudre est l’absence d’un cadre national coordonné et complet. Comme nous le savons, comme il y a 10 provinces et 3 territoires du Canada, nous avons parfois l’impression d’avoir 13 systèmes de santé distincts ou de vivre dans 13 fiefs. À l’heure actuelle, l’accès à la prévention, au diagnostic, aux interventions et au soutien relativement à l’ETCAF dans nos provinces et territoires est inégal et, malheureusement, non coordonné dans le meilleur des cas. L’établissement d’un diagnostic de l’ETCAF nécessite une équipe multidisciplinaire et des évaluations physiques et neurodéveloppementales complexes.

En 2005, le Journal de l’Association médicale canadienne a publié une ligne directrice internationale, élaborée en collaboration et fondée sur des données probantes concernant le diagnostic lié à l’exposition prénatale à l’alcool. Depuis lors, le domaine a évolué et a connu une croissance explosive, et de nouvelles données probantes, une nouvelle expertise et une nouvelle expérience ont émergé. Une ligne directrice actualisée a été publiée en 2016, dans laquelle on souligne l’importance du counselling et de la prévention avant la grossesse.

La ligne directrice comprend des mesures normalisées de dépistage et d’aiguillage ainsi que d’intervention précoce, et elle définit la composition de l’équipe de diagnostic. Cette équipe doit comprendre un psychologue du développement de l’enfant, un pédiatre, un orthophoniste, un psychiatre, un ergothérapeute et un médecin supervisant l’équipe, selon l’âge de la personne évaluée. Dans le contexte actuel de notre crise des soins de santé, vous ne pouvez qu’imaginer combien il serait difficile de composer de telles équipes.

Chers collègues, il existe 73 cliniques de diagnostic au Canada, et ces cliniques ne sont pas réparties uniformément. Il y a des provinces qui n’ont actuellement pas une seule clinique de diagnostic. Même si une province dispose de ces cliniques, la plupart ont de longues listes d’attente ou une capacité très limitée et ne sont presque jamais situées dans des régions rurales ou éloignées. Comme vous pouvez l’imaginer, il peut être particulièrement difficile dans ces régions de trouver tous les spécialistes nécessaires au bon fonctionnement d’une clinique. C’était d’ailleurs une grande partie du défi à relever au cours de ma vie de praticien.

Comme il n’existe aucun système de suivi pancanadien uniforme, CanFASD s’appuie sur des études provinciales de moindre portée et en extrapole les résultats. Moins de la moitié des cliniques de diagnostic contribuent à la base de données nationale, généralement à cause d’un manque de personnel et d’importantes contraintes de temps. Les chiffres de la base de données auxquelles nous nous fions ne peuvent donc pas refléter la prévalence ou la répartition de ce trouble dans les diverses régions du pays. Cela signifie qu’il existe un nombre important, mais indéterminé de Canadiens souffrant de l’ETCAF au sujet desquels il est impossible de poser un diagnostic. Le problème est particulièrement grave parmi les populations dont les déterminants sociaux de la santé sont compromis, ce qui inclut les personnes faisant partie des systèmes d’aide à l’enfance, de la justice et correctionnels, ainsi que nos communautés autochtones.

Chers collègues, nous sommes parfaitement conscients du rôle que nos estimés collègues à l’échelon provincial jouent au Canada. Certaines provinces et certains territoires, dont l’Alberta, le Manitoba et le Yukon, possèdent déjà une stratégie ou un cadre précis visant à promouvoir la prévention de l’ETCAF, à améliorer les mesures de diagnostic et à accroître les mesures de soutien pour les personnes affectées. Ces trois stratégies partagent de vastes objectifs fondamentaux, comme accroître la sensibilisation à l’égard des conséquences de la consommation d’alcool pendant la grossesse, promouvoir la prévention de la consommation d’alcool pendant la grossesse, étendre l’accès à des cliniques d’évaluation et de diagnostic, soutenir les nouvelles recherches visant à faire en sorte que les stratégies reposent sur des pratiques fondées sur des données probantes, et fournir d’autres mesures et services de soutien aux personnes atteintes de ce trouble, aux membres leur famille et à leurs aidants naturels.

D’autres provinces et territoires ont mis en place des stratégies, à l’heure actuelle ou par le passé, qui pourraient servir de point de départ au gouvernement fédéral afin de concevoir son propre cadre sur l’ETCAF. Par exemple, la Colombie-Britannique avait une stratégie de 2008 à 2018. La Saskatchewan a mis en place la stratégie sur l’incapacité cognitive, qui vise à offrir des services pour combler les besoins des personnes ayant une incapacité cognitive et à aider leur famille. En Ontario, le budget de 2017 prévoyait des fonds pour les mesures de soutien aux personnes atteintes de l’ETCAF, mais la stratégie n’a jamais été mise en œuvre. L’Île-du-Prince-Édouard a conçu la Stratégie relative à la santé mentale et à la toxicomanie 2016-2026. De son côté, la Nouvelle-Écosse a lancé la stratégie intitulée Changing the Culture of Alcohol Use in Nova Scotia — pour changer les mentalités à l’égard de la consommation d’alcool — en 2007, dans le but d’intégrer l’ETCAF à d’autres stratégies provinciales sur la sensibilisation et la prévention en matière de consommation d’alcool. Présentement, le Nouveau-Brunswick prend appui sur l’expérience des autres provinces et territoires afin d’élaborer une stratégie provinciale interdisciplinaire. Dans ma province, Terre‑Neuve-et-Labrador, on reconnaît que le soutien accordé au réseau provincial en matière d’ETCAF dans le cadre du plan d’action relatif à l’alcool a produit des résultats positifs. Le but est de réduire les méfaits et les coûts dans la province. Le rapport a été diffusé en juillet 2022. Le Nunavut prépare un plan stratégique sur l’invalidité.

Honorables sénateurs, ce projet de loi n’est pas conçu pour réinventer la roue, mais pour renforcer le travail accompli à ce jour. Il peut grandement contribuer à nous fournir de l’information pour réaliser des progrès.

Depuis le début des années 1980, un ensemble disparate de campagnes de sensibilisation s’est établi pour soutenir les femmes qui sont à risque de consommer de l’alcool pendant la grossesse et pour répondre aux besoins des gens et des collectivités touchés par le syndrome. Éclairé par la recherche, on a mis l’accent sur la déstigmatisation des mères qui ont consommé de l’alcool pendant la grossesse. Je me permets de le répéter parce que, malheureusement, beaucoup de femmes portent ce fardeau et sont stigmatisées toute leur vie. On a mis l’accent sur la déstigmatisation et on fait des efforts pour garantir que des mesures d’intervention précoce sont facilement accessibles. Plus le diagnostic est précoce, meilleurs sont les résultats à long terme.

De plus, la recherche, la surveillance et l’évaluation des différentes initiatives se sont accrues progressivement.

Vu la nature complexe de ce syndrome, il ne s’agit pas uniquement d’une question de soins de santé. En effet, il y a des répercussions sur d’autres domaines qui sont en fait la responsabilité du gouvernement fédéral, notamment la justice pénale et l’économie. Par conséquent, les gouvernements fédéraux successifs ont fait quelques efforts pour soutenir des projets ou des programmes spécifiques.

(2040)

Par exemple, en 2003, le gouvernement du Canada a publié le document intitulé Ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (ETCAF) : Un cadre d’action. Le cadre d’action est un outil destiné à guider les actions futures en matière d’ETCAF au Canada et il est le fruit de consultations nationales qui ont eu lieu en 1999, puis en 2002 et 2003. Il représente la vision de la collaboration entre les gouvernements pour améliorer la vie des personnes touchées par l’ETCAF et, surtout, pour prévenir les cas de troubles causés par l’alcoolisation fœtale.

Le cadre définit cinq objectifs principaux : accroître la sensibilisation à ces troubles et aux conséquences de la consommation d’alcool pendant la grossesse; augmenter les moyens d’action et la formation pour faire face à l’ETCAF; créer des outils pour améliorer le dépistage, le diagnostic et la collecte de données; élargir les connaissances et la collecte de renseignements; et soutenir les actions essentielles concernant ces troubles.

Le cadre décrit aussi précisément le rôle du gouvernement fédéral et indique qu’il continuera à se concentrer sur le développement et le renforcement des fonctions de coordination qui permettent d’assurer l’accès aux outils, à l’expertise et aux ressources nécessaires dans tout le pays.

En plus de servir de fondement à des plans d’action fédéraux, le guide a été conçu pour guider les travaux interministériels qui visent à régler les lacunes et les problèmes dont aucun autre secteur ne s’occupe actuellement. Il s’agit notamment d’élaborer une ligne directrice nationale — chose qu’un pays riche comme le nôtre devrait être en mesure de faire; d’accroître les connaissances qui proviennent des sciences dures et des sciences sociales et ont un lien avec la prévention et les façons efficaces d’aider les personnes touchées; de recueillir des données probantes et d’établir des mécanismes pour l’échange de connaissances entre administrations; et finalement un point essentiel, de faire mieux connaître l’ETCAF parmi les professionnels de tous les secteurs qui travaillent avec les gens, les familles, les collectivités et ceux qui sont touchés par l’ETCAF.

Par ailleurs, le gouvernement fédéral a publié un document d’accompagnement intitulé Ça prend une communauté après avoir mené, en 2000, des discussions avec des experts et des représentants des provinces, des territoires, des Premières Nations et de la communauté inuite. Le cadre est fondé sur les valeurs, les principes, les objectifs et les besoins cernés par les communautés des Premières Nations et inuites de partout au pays. Il reconnaît les conséquences du trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale et cherche la meilleure façon d’améliorer la situation.

Honorables collègues, cela se passait il y a 20 ans. Les militants, les experts et les personnes qui ont une expérience personnelle de l’ETCAF demandent encore au gouvernement fédéral de faire preuve de leadership dans ce domaine.

L’amélioration de la prévention et du diagnostic de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale, ainsi que d’autres mesures de soutien au sujet de celui-ci, a fait l’objet d’études approfondies dans les deux Chambres du Parlement. Par exemple, en septembre 2006 à l’autre endroit, le Comité permanent de la santé a déposé un rapport intitulé Un seul, c’est déjà trop : Demande d’un plan d’action global pour l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale.

L’essentiel des recommandations formulées peut être résumé comme un appel au gouvernement fédéral en général et au portefeuille de la santé en particulier pour qu’ils élaborent un plan d’action complet avec des buts, des objectifs et des échéances définis. Le comité a indiqué qu’il y avait :

[...] peu d’indications selon lesquelles des progrès ont été faits depuis la production en 2003 du Cadre d’action national pour l’ETCAF. Malgré les efforts répétés pour faire établir un plan d’action global [...]

Dans sa réponse, le gouvernement a convenu qu’un plan d’action pancanadien complet, élaboré en collaboration avec les provinces, les territoires et les intervenants, est essentiel pour s’attaquer à ce trouble.

Au Sénat, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a inclus dans son rapport des recommandations visant à améliorer les soutiens à la prévention, au diagnostic et au traitement, notamment dans le rapport de 2006 intitulé De l’ombre à la lumière : La transformation des services concernant la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie au Canada.

Comme la sénatrice Pate et le sénateur Cotter me l’ont fait remarquer — et j’espère qu’ils pourront en dire plus long sur ce point —, une grande partie de ce que nous savons sur les personnes atteintes de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale provient de leurs démêlés avec le système de justice pénale.

Nos collègues qui siègent au Comité sénatorial permanent des droits de la personne se souviendront du rapport de 2019 intitulé Rapport provisoire — Étude concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel fédéral : Le premier des droits fondamentaux est celui d’être traité comme un être humain. Nancy Lockwood, gestionnaire de programme de Citizen Advocacy Ottawa, a évoqué certains des problèmes éprouvés dans les pénitenciers par les personnes souffrant de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale. Cela nous donne une bonne idée de la situation. Elle a dit ceci :

Ces personnes risquent de devenir victimes de prédateurs. Elles peuvent éprouver une surcharge sensorielle, qui les rend sujettes à des accès émotionnels et aux comportements négatifs. Elles ne tirent généralement pas de leçon de leurs erreurs et ont du mal à comprendre les règles de l’interaction sociale. Les personnes atteintes de l’ETCAF ont également de la difficulté à s’organiser et à gérer le temps, de sorte qu’elles n’arrivent souvent pas à l’heure pour des rendez-vous concernant la probation ou ne s’y présentent pas du tout.

Elle a ajouté qu’il faudrait trouver « des solutions de rechange à l’incarcération, telles que des milieux résidentiels ou de travail supervisés » et « des modèles qui visent à modifier l’environnement et non la personne ». Ces observations trouvent écho dans le quatrième rapport, publié en 2021, et intitulé Droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral.

Honorables collègues, comme la Commission de vérité et réconciliation l’a reconnu, l’incapacité du système de justice pénale de s’adapter adéquatement aux personnes atteintes de ce trouble est un problème qui touche de façon démesurée les Autochtones, qui sont incarcérés dans une proportion toujours croissante, se voient imposer de plus longues peines de prison et des sanctions en milieu carcéral plus sévères comparativement à d’autres personnes au pays.

L’appel à l’action no 34 de la Commission de vérité et réconciliation dit ceci :

Nous demandons aux gouvernements du Canada, des provinces et des territoires d’entreprendre des réformes du système de justice pénale afin de mieux répondre aux besoins des délinquants atteints de l’ETCAF, plus particulièrement, nous demandons la prise des mesures suivantes :

i. fournir des ressources communautaires et accroître les pouvoirs des tribunaux afin de s’assurer que l’ETCAF est diagnostiqué correctement et que des mesures de soutien communautaires sont en place pour les personnes atteintes de ce trouble;

ii. permettre des dérogations aux peines minimales obligatoires d’emprisonnement pour les délinquants atteints de l’ETCAF;

iii. mettre à la disposition de la communauté de même que des responsables des services correctionnels et des libérations conditionnelles les ressources qui leur permettront de maximiser les possibilités de vivre dans la communauté pour les personnes atteintes de l’ETCAF;

iv. adopter des mécanismes d’évaluation appropriés pour mesurer l’efficacité des programmes en cause et garantir la sécurité de la communauté.

J’ai eu le privilège de demander au ministre Lametti, lorsqu’il a comparu au Sénat pendant la période des questions il y a quelques semaines, quelles étaient les méthodes de dépistage de l’ETCAF disponibles pour les délinquants dans le système de justice pénale. Il n’a pas été en mesure de me donner une réponse claire sur les options offertes. Cette question nécessite un examen plus approfondi, et nous continuons à collaborer avec son Bureau à cet égard.

En dehors du contexte de la justice pénale, la Commission de vérité et réconciliation a reconnu la nécessité de la prévention et du traitement de l’ETCAF, en particulier dans les communautés autochtones. Plus précisément, l’appel à l’action no 33 énonce ce qui suit :

Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de reconnaître comme priorité de premier plan la nécessité d’aborder la question du trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF) et de prévenir ce trouble, en plus d’élaborer, en collaboration avec les Autochtones, des programmes de prévention du TSAF qui sont adaptés à la culture autochtone.

Le gouvernement fédéral a effectivement fait plusieurs investissements dans des programmes visant à soutenir les communautés des Premières Nations et les communautés inuites dans la prévention du TSAF et le traitement des bébés touchés par le TSAF. Par exemple, avec le soutien financier de la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits, qu’on appelle aujourd’hui Affaires autochtones et du Nord Canada, l’organisation Pauktuutit Inuit Women of Canada — l’organisation nationale qui représente les Inuites au Canada — a publié un plan stratégique quinquennal sur le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale chez les Inuits intitulé Inuit Five-Year Strategic Plan for Fetal Alcohol Spectrum Disorder 2010-2015. Ce plan comprend un énoncé de vision, un mandat, des priorités et des orientations stratégiques servant à guider la communauté dans sa collaboration avec les gouvernements et avec d’autres intervenants locaux et régionaux sur cinq ans pour lutter contre le problème du TSAF dans les communautés inuites de l’ensemble du pays.

Depuis 2014-2015, le gouvernement fédéral a mis en place le Fonds national d’aide aux projets stratégiques sur le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale, qui alloue 1,5 million de dollars chaque année, pour un total de 12 millions de dollars sur huit ans, pour financer des projets nationaux soutenant la prévention, l’éducation et l’échange des connaissances et la coordination des activités sur le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale. Une liste des projets financés se trouve dans le site Web du programme.

(2050)

Depuis, l’organisation Pauktuutit Inuit Women of Canada a poursuivi ses efforts extraordinaires en lançant une campagne de sensibilisation communautaire pour promouvoir la prévention de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale. J’ai eu le privilège de demander au ministre Miller, quand il a comparu dans cette enceinte il y a quelques semaines, comment les récents programmes sont évalués. Encore une fois, je n’ai pas pu obtenir de réponse claire. C’est un autre sujet dont nous devons continuer de discuter avec le gouvernement fédéral.

Malgré ces recommandations de rapports, ces études et ces initiatives du gouvernement, beaucoup de gens souffrant de ces troubles ne reçoivent pas de soutien ni de services adéquats et constants. Faute d’une stratégie nationale intégrée, d’outils de diagnostic et de dépistage normalisés et d’études épidémiologiques exhaustives, la progression vers une prévention et un soutien cohérents et efficaces est lente.

Honorables sénateurs, je crois que le moment est venu d’agir. Nous savons tous que les changements importants se font petit à petit. Sur la Colline, les choses avancent parfois extrêmement lentement, au lieu de se transformer rapidement. Toutefois, cette lenteur à agir nous coûte cher. En tenant compte de l’inflation, des recherches fiables ont récemment montré que les troubles causés par l’alcoolisation fœtale coûtent plus de 10,5 milliards de dollars annuellement au Canada, ce qui est énorme. C’est sans compter la pandémie mondiale actuelle, qui pourrait modifier ces coûts. Ces derniers sont répartis de la façon suivante : les coûts liés à la justice pénale, aux soins de santé, aux services d’éducation et aux services sociaux ainsi que les autres pertes financières indirectes, y compris la perte de productivité.

Le projet de loi que je propose est très simple. Son adoption obligerait le ministre de la Santé, en consultation avec d’autres ministres et intervenants, à élaborer un cadre national conçu pour soutenir les Canadiens atteints de la maladie, leur famille et leurs aidants. Ce cadre comprendrait des mesures visant, entre autres, à normaliser les lignes directrices, à améliorer les outils de diagnostic et de communication des données, à élargir les bases de connaissances, à faciliter le partage de l’information et à sensibiliser davantage le public et les professionnels. Ces mesures seraient mises en œuvre dans un délai précis, avec l’intention expresse de travailler avec les provinces, les territoires et les parties prenantes, y compris les personnes qui défendent leurs propres intérêts, ainsi qu’avec les communautés autochtones et les organisations essentiellement dirigées par des Autochtones. En plus d’un échéancier précis, le cadre serait soumis à une supervision parlementaire.

Même s’il prévoit des jalons, notamment des échéances, le projet de loi S-253, de par sa conception, n’est pas trop prescriptif sur la teneur du cadre lui-même. Le gouvernement doit avoir la latitude nécessaire pour respecter le processus consultatif. Ce projet de loi permettrait de créer un cadre national coordonné visant à soutenir — et c’est crucial — les Canadiens atteints de la maladie, leur famille et leurs aidants.

Honorables sénateurs, un cadre national sur l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale s’impose depuis longtemps. Vu la complexité de ces troubles et l’étendue de leurs effets, les approches provinciales et territoriales disparates ne suffisent tout simplement pas, comme nous le constatons. Depuis 2020, le gouvernement du Canada reconnaît septembre comme étant le Mois de sensibilisation au trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale, et je suis fier de dire que dans ma province, Terre-Neuve-et-Labrador, Son Honneur le maire de St. John’s, Danny Breen, a également fait cette déclaration en septembre dernier. Vous avez peut-être également remarqué sur votre fil de gazouillis que de nombreuses collectivités commencent à reconnaître l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale. Nous pouvons faire en sorte que le gouvernement fédéral continue de prendre les mesures appropriées à l’égard de ce problème de santé urgent et multidimensionnel qui touche des millions de Canadiens; nous devons le faire.

Honorables sénateurs, nous savons tous qu’il ne s’agit pas d’une question partisane. Nos collègues élus et nous avons entendu des personnes touchées par ce trouble, leur famille, leurs soignants, ainsi que des experts et des groupes de revendications nous dire qu’un cadre national améliorerait leur situation. Grâce à ce projet de loi, nous serions un peu plus près d’un accès élargi et équitable aux services d’évaluation et de soutien dans l’ensemble du pays de façon à ce que les Canadiens atteints de ce trouble puissent atteindre leur potentiel maximal, peu importe où ils habitent. Nous serions un peu plus près d’avoir des effectifs formés au sujet du TSAF dans le système de santé, dans les services sociaux, dans le système de justice et dans le système d’éducation. Nous serions un peu plus près d’un soutien financier et de l’inclusion sociale de ce groupe vulnérable et de la réduction de la stigmatisation qu’il vit.

Honorables sénateurs, ce projet de loi est un pas dans la bonne direction. Merci, meegwetch.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

L’étude sur les questions concernant l’agriculture et les forêts en général

Sixième rapport du Comité de l’agriculture et des forêts et demande de réponse du gouvernement—Ajournement du débat

Le Sénat passe à l’étude du sixième rapport (provisoire) du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, intitulé Remettre à flot : L’impact et la réponse aux inondations de 2021 en Colombie-Britannique, déposé auprès du greffier du Sénat le 27 octobre 2022.

L’honorable Paula Simons propose :

Que le sixième rapport du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, intitulé Remettre à flot : L’impact et la réponse aux inondations de 2021 en Colombie-Britannique, qui a été déposé auprès du greffier du Sénat le 27 octobre 2022, soit adopté et que, conformément à l’article 12-24(1) du Règlement, le Sénat demande une réponse complète et détaillée du gouvernement, le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire étant désigné ministre chargé de répondre à ce rapport, en consultation avec le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, le ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités et le ministre des Transports.

 — Honorables sénateurs, à mon avis, il s’agit d’un excellent rapport. Nous avons travaillé fort et il a été bien accueilli en Colombie-Britannique.

Ce n’est peut-être qu’un hasard, mais la publication du rapport coïncide avec l’arrivée d’une nouvelle rivière atmosphérique en Colombie-Britannique, alors nous avons obtenu beaucoup d’attention médiatique à cause de ce malheureux événement. Je propose que nous adoptions le rapport. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné avec dissidence.)

Le Sénat

Motion tendant à former un comité sénatorial spécial sur le capital humain et le marché du travail—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Bellemare, appuyée par l’honorable sénateur Harder, c.p.,

Qu’un comité sénatorial spécial sur le capital humain et le marché du travail soit formé jusqu’à la fin de la présente session, qui peut être saisi de toute question concernant le capital humain, le marché du travail et l’emploi en général;

Que le comité soit composé de neuf membres nommés par le Comité de sélection et que quatre membres constituent le quorum;

Que le comité soit autorisé à faire enquête et rapport sur les questions dont il est saisi par le Sénat, à exiger la comparution de témoins et la production de documents, à entendre des témoins et à ordonner la publication de documents et de témoignages.

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la motion de la sénatrice Bellemare tendant à créer un comité spécial sur le capital humain au Sénat.

Le marché du travail, les employeurs et les employés sont le moteur de notre économie et le fondement de notre prospérité. En 2021, 15,4 millions de Canadiens étaient employés à temps plein. La structure du comité doit tenir compte de leurs besoins et des perspectives des industries, des secteurs et des régions, qui devront occuper une place de choix dans les délibérations du comité.

À l’heure actuelle, ces priorités, comme celles dont nous avons débattu ici — le travail à la demande, l’évolution du marché du travail et les répercussions de l’intelligence artificielle et de la robotique sur l’avenir du travail — bénéficient, au mieux, d’une attention passagère de la part du Sénat.

(2100)

Récemment, nous avons eu plusieurs débats sur l’assurance-emploi, et la nécessité d’une réforme de l’assurance-emploi est apparue clairement à beaucoup d’entre nous. Nous sommes également aux prises avec d’importantes pénuries de main-d’œuvre par secteur, par région et par saison. Ces questions, chers collègues, ne sont pas une considération secondaire. Elles s’inscrivent dans le courant dominant.

Je suis donc tout à fait d’accord avec la sénatrice Bellemare et les autres membres du Comité du Règlement quant à la nécessité de lancer un tel effort.

La forme obéit à la fonction, comme nous l’avons tous entendu, mais dans le cas du Sénat, nous avons besoin de la forme, de la structure et des arrangements pour nous mener à la sagesse.

Chers collègues, tant de choses ont changé dans le monde du travail au cours des trois dernières décennies. Les gens n’occupent plus un emploi durant toute leur vie. Des secteurs entiers du marché du travail ont été balayés et remplacés par d’autres. Apparemment, si vous êtes un influenceur sur les médias sociaux, vous faites partie de la catégorie la plus demandée, tandis que les piliers de notre économie, comme la fabrication, sont en fort déclin, succombant à la mondialisation et à l’automatisation. Pour certains, c’est la meilleure des époques, pour d’autres, c’est la pire.

La vitesse et le rythme des changements sont effrénés, et qui sait — ils pourraient encore changer si la relocalisation devient une réalité.

Nulle part ailleurs cela n’est plus clair que dans le monde de l’économie à la demande. Statistique Canada a remarqué que ce type particulier d’arrangement de travail — le « travail à la demande », comme nous l’appelons — a augmenté de 70 % pour atteindre 1,7 million de travailleurs. Le salaire moyen d’un travailleur à la demande est d’environ 4 000 $.

Avouons-le, 4 000 $, c’est bien s’il s’agit d’un emploi secondaire de soir ou de fin de semaine pour arrondir les fins de mois, mais je crois que nous savons tous ce que 4 000 $ représentent s’il s’agit de notre seule source de revenus.

Ce sont là des questions graves, chers collègues, et les travaux du Sénat doivent refléter les questions d’urgence nationale en évolution. Les travaux d’un comité du capital humain recouperont nécessairement ceux du Comité de l’immigration, car nous tentons de combler les pénuries de main-d’œuvre grâce à l’immigration. Les employeurs ont des problèmes de prévisibilité en raison de tout le temps qu’il faut pour obtenir un permis de travail. Les voies d’accès varient en fonction des régions, des secteurs et de ce qu’on appelle des travailleurs hautement qualifiés ou des travailleurs peu spécialisés. Je crois que ce nouveau comité sera bien placé pour accorder toute l’attention voulue à ce dossier, car la majorité des immigrants qui arrivent au pays — ils seront bientôt 500 000 par année, comme je l’ai appris aujourd’hui — demeureront sur le marché du travail. Toutefois, le dossier de l’immigration comporte aussi d’autres volets, comme la cohésion sociale, l’inclusion sociale, les droits des immigrants, la citoyenneté et le racisme, qui devraient tous rester au Comité des affaires sociales.

Il s’agit de sujets très importants pour l’édification de la nation. Je le souligne, car je ne veux pas qu’il y ait le moindre malentendu au sujet de mes propos. Je ne prétends pas que les travaux du Comité du capital humain devraient porter sur l’ensemble du dossier de l’immigration, bien au contraire.

Chers collègues, je suis aussi favorable à la création de ce comité. Je crois sincèrement qu’il pourrait s’agir du premier pas pour faire des avancées dans le processus de refonte de la structure globale des comités.

Bien que nous ayons ajouté de nouveaux comités au fil des ans, les mandats et les structures doivent être révisés. Je préside le Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie depuis une année seulement, mais j’y siège depuis près de quatre ans. À titre d’exemple, ce comité a un mandat très large qui englobe les affaires sociales, les sciences et les technologies. Par conséquent, ses travaux couvrent — ou devraient couvrir — l’espace, la physique, la chimie, la santé des Canadiens, les jeunes, les femmes, la communauté LGBTQ2+, les personnes défavorisées, les personnes handicapées, les étudiants, l’éducation, la cohésion sociale, le marché du travail et le multiculturalisme. La sénatrice Seidman me dira si j’ai oublié un élément dans cette liste.

Ce comité doit étudier un grand nombre de projets de loi ministériels et de plus en plus de projets de loi d’initiative parlementaire, autant en provenance du Sénat que de la Chambre des communes.

Je tiens à souligner l’importance des études menées par les comités sénatoriaux, surtout le Comité sénatorial des affaires sociales. Pensons aux rapports du sénateur Kirby sur la santé mentale, qui ont servi d’assises à la Commission de la santé mentale du Canada. J’aimerais aussi souligner le rapport sur l’autisme intitulé Payer maintenant ou payer plus tard, qui a finalement porté ses fruits, dans le projet de loi S-203. De plus, chers collègues, je vous rappelle que les rapports sur la pauvreté, le logement, l’invalidité et l’itinérance ont incité les gouvernements qui se sont succédé au fil du temps, peu importe les allégeances politiques, à mettre en œuvre des recommandations.

Parmi les études plus récentes, mentionnons l’étude sur la finance sociale, qui a conduit à l’annonce de la création du Fonds de finance sociale.

Ce ne sont là que quelques exemples, mais je tiens à souligner que le pouvoir et la longévité du Sénat résident réellement dans ses études.

Je souhaite aborder aussi un autre volet du mandat du Comité des affaires sociales, un volet dont on parle peu, celui de la science et de la technologie. Il s’agit selon moi d’un autre type de connaissances et de discours et, de manière générale, d’un sujet qui ne devrait plus relever du Comité des affaires sociales. Soulignons que la science générale, notamment la science fondamentale, fait rarement l’objet d’études à notre comité. Il est vrai que le comité a déjà étudié — la sénatrice Petitclerc s’en souviendra — l’intelligence artificielle dans le système de santé ainsi que les produits pharmaceutiques sur ordonnance, des sujets comportant une part de science. Ce sont toutefois des sujets liés à la santé, et ils ne constituent pas ce que j’appellerais de la science fondamentale.

Bref, le comité n’a fait aucune étude sur la science générale depuis plus d’une décennie, chers collègues.

En 2008, le comité a publié un rapport intitulé Réaliser le potentiel des sciences et de la technologie au profit du Canada. Il portait sur la stratégie en matière de sciences du gouvernement fédéral. Devant le large éventail de sujets qui s’offrent à nous, certains ont toutefois dû être mis de côté. Dans ce cas-ci, la science générale a été victime de ce trop-plein de sujets. C’est dommage, car la science est très présente dans nos vies. Il serait nécessaire et beaucoup plus approprié qu’un nouveau comité se concentre de façon plus ciblée sur la science.

Les changements que je propose permettraient au Comité sénatorial des affaires sociales de mettre l’accent sur la santé et les affaires sociales, y compris les sciences de la santé. Si ces changements sont apportés, le Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie deviendrait le comité des affaires sociales et de la santé.

Je parle à titre personnel, et non au nom du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie dont je suis la présidente. Je parle seulement en mon nom. Je tiens à le préciser.

Le calendrier des comités est une autre source de frustration pour moi. Nous devons choisir dans quels comités siéger. Cependant, à cause de la rigidité des horaires — et nous avons conservé le calendrier de la session précédente —, il est impossible d’aller assister, de temps à autre, à une réunion d’un autre comité dont l’horaire entre en conflit avec celui d’un comité où on a été nommé. J’aimerais qu’il y ait une certaine flexibilité dans les horaires des comités afin de permettre un plus grand échange d’idées.

Je sais qu’il s’agit de projets à long terme, mais ils sont cruciaux pour l’avenir du Sénat.

Je crois que commencer par cette petite mesure qu’est la création, pour une durée limitée, d’un comité sur le capital humain est quelque chose d’important, et j’espère que cette motion sera adoptée. Je vous remercie, chers collègues.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Patterson, avez-vous une question?

L’honorable Dennis Glen Patterson : Oui, si vous le permettez.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Omidvar, acceptez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Omidvar : J’accepte toujours de répondre à une question.

Le sénateur Patterson : Sénatrice Omidvar, je vous remercie de votre discours. J’ai un peu d’expérience en matière de comités spéciaux, car le sénateur Watt et moi-même avons réussi à faire créer par le Sénat un comité spécial sur l’Arctique. La question qui se pose alors — et je ne m’oppose pas du tout à votre motion — est de savoir si les ressources sont suffisantes pour ajouter un comité. Les services de soutien sont-ils disponibles, et y a-t-il du temps dans le calendrier?

Je me demandais si vous aviez eu l’occasion d’explorer la question avec le Sénat.

La sénatrice Omidvar : Merci de votre question, sénateur Patterson. En fait, c’est la grande question avec laquelle il faudra nous colleter. Cependant, sénateur Patterson, mon nom de famille est Omidvar, qui signifie « espoir » en persan. À mon avis, quand on veut, on peut. Il faut de la volonté pour régler cette question de réforme et de restructuration. Je crois que vous êtes un réformiste vous aussi. J’ai moi aussi vécu l’expérience d’un comité sénatorial spécial. J’ai regardé le sénateur Mercer réaliser sa création avec brio. Je ne pense pas qu’il faille confier la question aux efforts politiques d’un ou deux sénateurs, aussi réussis fussent-ils.

(2110)

La sénatrice Bellemare a présenté cette motion de manière réfléchie. On en a discuté et elle a été bien élaborée par le Comité du Règlement. Je suis plutôt convaincue que le comité a eu des conversations avec l’Administration du Sénat, ou qu’il est en train d’en avoir. Je conclurai avec ma prémisse : quand on veut, on peut absolument. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Français]

Un avenir à zéro émission nette

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Coyle, attirant l’attention du Sénat sur l’importance de trouver des solutions pour faire la transition de la société, de l’économie et de l’utilisation des ressources du Canada dans la poursuite d’un avenir juste, prospère, durable et paisible à zéro émission nette pour notre pays et la planète.

L’honorable Amina Gerba : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de m’adresser à vous à partir du territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Je prends la parole aujourd’hui dans le cadre de l’interpellation no 4 soumise au Sénat par notre collègue la sénatrice Mary Coyle, qui porte sur la nécessité d’apporter en toute urgence des solutions aux effets des changements climatiques dans notre pays et ailleurs dans le monde. Je remercie la sénatrice de nous avoir rappelés à nos devoirs au moment même où, selon un très récent sondage Léger, 70 % des Canadiens sont inquiets, voire très inquiets quant aux effets des changements climatiques.

Chers collègues, du 6 au 18 novembre se tiendra la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP27) à Charm el-Cheikh, en Égypte.

Les parties présentes à la précédente conférence, la COP26, réunies à Glasgow, ont réaffirmé l’objectif retenu par la communauté internationale et connu sous l’appellation de l’Accord de Paris pour le maintien de l’objectif d’un réchauffement qui n’excède pas 1,5 degré Celsius. Glasgow a aussi insisté sur le besoin d’une intensification urgente des actions clairement énoncées, du financement visant le renforcement des capacités et du développement des technologies afin de renforcer l’indispensable résilience et de réduire la vulnérabilité d’un grand nombre, sinon de tous, aux changements climatiques.

Un nouveau rapport d’ONU Climat montre que les pays infléchissent à la baisse de la courbe des émissions mondiales de gaz à effet de serre, mais souligne que ces efforts restent insuffisants pour limiter la hausse de la température mondiale à 1,5 degré Celsius d’ici la fin du siècle. Selon ce rapport, les engagements climatiques combinés des 193 parties à l’Accord de Paris pourraient mettre le monde sur la voie d’un réchauffement d’environ 2,5 degrés Celsius d’ici la fin du siècle. Le rapport publié montre également que les engagements actuels feront augmenter les émissions de 10,6 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2010.

Chers collègues, les changements climatiques ne sont pas une vue de l’esprit. Ils frappent durement sur tous les continents et ils ont, ces derniers temps, touché sérieusement notre pays, notamment la Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve-et-Labrador et une partie du territoire québécois. Ils sont, hélas, une triste réalité. Les effets sont visibles partout.

Ils le sont en Afrique où les gouvernements et les groupes de la société civile multiplient leurs efforts en matière de résilience climatique. Selon les experts, l’Afrique subit durement les effets du réchauffement climatique même si le continent pollue nettement moins que tous les autres continents. En effet, l’Afrique émet à peine 4 % des gaz à effet de serre, mais subit un réchauffement accéléré, une augmentation continue des températures bien au-delà de la moyenne mondiale, terres et mers confondues.

Les effets de ces mutations sont considérables : élévation du niveau de la mer; fonte des glaciers des montagnes africaines à l’instar du mont Kenya, au Kenya, des monts Rwenzori, en Ouganda, et du mont Kilimanjaro, en Tanzanie, et sécheresse qui s’étend sur le continent. Notamment, 14 des 23 pays qui ont connu des situations d’urgence liées à la sécheresse au cours des deux dernières années se trouvent sur le continent africain.

La sécheresse touche à la fois les rivières et les lacs, comme c’est le cas du lac Tchad, elle accélère la désertification et la dégradation des terres agricoles, produit un déplacement des populations et provoque la famine. À l’heure actuelle, on estime à 1 million le nombre de déplacés climatiques en Somalie, et plus de 20 millions de personnes font face à un risque de famine en Afrique de l’Est, selon le Programme alimentaire mondial.

Un autre effet des changements climatiques en Afrique concerne les inondations qui s’intensifient sur le continent. Leurs conséquences sont terribles : destruction des biens et multiplication des épidémies, entre autres. Au Nigeria, des inondations dont l’ampleur est sans précédent ont fait 363 morts, près de 2 millions de déplacés et plus de 618 000 maisons détruites. En Afrique du Sud, en avril dernier, de graves inondations ont fait près de 400 morts.

À défaut d’interventions décisives dans le monde et en Afrique, on prévoit que d’ici à 2030, 100 millions d’Africains vivant dans l’extrême pauvreté seront durement touchés par les effets des changements climatiques; 100 millions, c’est presque trois fois la population du Canada.

Devant de telles calamités actuelles et futures, une question se pose : y a-t-il une perspective africaine et des solutions africaines aux défis posés par les changements climatiques?

Chers collègues, lors de la dernière Assemblée générale des Nations unies à New York, le président sénégalais et président en exercice de l’Union africaine, Macky Sall, a déclaré ceci, et je cite :

[...] il existe aussi une Afrique des solutions, forte de ses ressources naturelles, humaines et agricoles, dotée de gouvernements à la tâche, d’une jeunesse vibrante et créative, qui innove, entreprend et réussit.

Honorables sénatrices et sénateurs, plusieurs initiatives ont été entreprises par les pays africains dans le but de réduire la vulnérabilité du continent aux effets du changement climatique et d’augmenter la capacité des populations à y faire face. Des solutions trouvent leur force dans la nature même. Il s’agit notamment d’utiliser les atouts du monde naturel pour freiner l’évolution des changements climatiques et y faire face.

Selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la protection des forêts et des mangroves pourrait permettre d’éviter à l’Afrique jusqu’à 500 milliards de dollars de pertes liées au changement climatique. Des experts du PNUD pour les questions climatiques en Afrique pensent que « [l]es forêts du bassin du Congo par exemple ont un potentiel d’atténuation du changement climatique très important. »

Dans cette optique, le Madagascar a récemment introduit la culture des plantes aquatiques encore appelée rambo ou laîche de sables. Cette culture permet de mieux résister à la sécheresse et favorise la disponibilité des surfaces agraires cultivables. Les îles Comores et le Malawi ont, pour leur part, opté pour la plantation en continu d’arbres pour faire face aux effets du changement climatique sur l’environnement et les populations. Les Seychelles, de leur côté, ont décidé de creuser des digues pour faire face aux inondations.

(2120)

La transition vers les énergies renouvelables en Afrique a également progressé de manière impressionnante au cours de la dernière décennie. En effet, de nombreux pays se sont efforcés d’accroître leur capacité en vue de passer à un avenir énergétique durable. Au Maroc, par exemple, plus d’un tiers de l’électricité est déjà renouvelable, grâce à la centrale solaire de Noor Quarzazate, qui est le plus grand parc solaire concentré au monde.

C’est aussi le cas des centrales éoliennes en Éthiopie et au Cap‑Vert qui, de manière croissante, réduisent l’usage des fossiles combustibles, et par là même, les émissions des gaz toxiques. Selon les prévisions de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, ces énergies pourraient représenter jusqu’à 67 % de la production d’électricité en Afrique subsaharienne d’ici 2030.

Certains pays africains ainsi que la Banque africaine de développement font la promotion et investissent dans les transports durables. Au Sénégal, par exemple, les transports publics de Dakar comptent maintenant un train express et un système de transport en commun rapide par bus avec des véhicules électriques. En 2021, le Kenya s’est équipé de milliers de motocycles électriques pour les déplacements en ville et encourage depuis les populations à adopter ces modes de déplacement.

Chers collègues, vous aurez compris que les pays africains travaillent de plus en plus à augmenter la résilience des populations locales ainsi que leur capacité d’adaptation pour faire face aux changements climatiques.

Toutefois, la plus grande initiative en matière de résilience climatique en Afrique est la Grande muraille verte. Il s’agit du programme phare du continent qui vise à combattre la désertification et à lutter contre l’insécurité alimentaire et la pauvreté. Ce programme a l’ambition de transformer les vies de millions de personnes en créant une vaste mosaïque de paysages verts et productifs partout en Afrique du Nord, au Sahel et dans la Corne de l’Afrique. Adoptée par l’Union africaine en 2007, l’Initiative de la Grande muraille verte rassemble plus de 20 pays africains ainsi que des organisations internationales, des instituts de recherche, des membres de la société civile et des organisations communautaires. Cette muraille doit relier Dakar, la capitale du Sénégal, à Djibouti, ce qui représente 11,7 millions d’hectares.

Cependant, bien que l’Afrique présente des solutions innovantes pour la résilience climatique, il faut reconnaître que le continent africain fait face à des défis de financement pour accélérer cette résilience climatique.

Je souhaite que le Canada se fasse le champion du respect de ces engagements envers le continent aux Nations unies, au G7, à l’OCDE, à la COP27, bref, dans tous les forums où l’urgence climatique est à l’ordre du jour. J’espère vivement que le Canada y plaidera dans le but de soutenir les demandes d’appui des pays d’Afrique à leurs politiques dans ce domaine.

Lors du lancement du groupe des Sénateurs pour des solutions climatiques, notre collègue Stan Kutcher a déclaré ce qui suit, et je cite :

L’histoire ne nous jugera pas sur le bien-être économique ni sur la force du PIB. L’histoire nous jugera sur nos actions en faveur des plus vulnérables, en faveur des générations futures, en faveur de l’humanité. La lutte contre les changements climatiques est donc l’un des aspects sur lesquels l’histoire nous jugera.

Chers collègues, je vous encourage tous à vous exprimer sur ce sujet important, selon vos propres points de vue et perspectives, et, si ce n’est déjà fait, je vous invite à vous joindre au groupe des Sénateurs pour des solutions climatiques.

Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Omidvar, le débat est ajourné.)

(À 21 h 26, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

Liste des sénateurs

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